À la suite des référendums négatifs en France et aux Pays-Bas sur le traité constitutionnel de l’Union européenne (UE), les chefs d’État et de gouvernement ont dû revoir la manière de procéder aux réformes nécessaires tant pour la cohésion interne que pour l’efficacité de l’action extérieure de l’UE. Force est d’admettre que l’idée d’une constitution est alors inadéquate, voire prématurée. Ils décident donc de relancer le débat et de revenir à la méthode de réforme classique, c’est-à-dire non pas d’élaborer un nouveau traité, mais d’amender le traité existant. Le traité modificatif est adopté, à Lisbonne, en décembre 2007, à la suite de nombreuses tractations au sein du Conseil européen qui regroupe les chefs d’État et de gouvernement ainsi que le président de la Commission européenne. Si un accord est trouvé, les membres du Conseil européen ne furent pas au bout de leur peine, car le processus de ratification par chacun des États membres fut long et difficile. Un processus qui aboutit en novembre 2009 avec la dernière ratification du traité par le président de la République tchèque, permettant finalement l’entrée en vigueur du traité au 1er décembre suivant.
Paradoxalement, si pour la première fois un traité sur l’UE offre la possibilité de retrait à ses membres, les multiples innovations proposées visent à renforcer l’unité, la clarté, la cohérence, la stabilité et la visibilité de l’UE avec un cadre institutionnel simplifié. L’objectif est ici de faire le point sur les avancées juridiques, institutionnelles et stratégiques permises par ce traité en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense.
Les innovations sur le plan juridique
Le traité de Lisbonne met fin à la logique de piliers qui depuis le traité de Maastricht (1993) implique une prise de décision différenciée selon les politiques concernées. Cette transformation met ainsi un terme à une compartimentation stricte des politiques européennes et dote l’UE d’une personnalité juridique unique. Elle renforce alors la capacité, l’efficacité et la visibilité de l’UE dans les négociations internationales en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
En outre, le traité de Lisbonne stipule enfin clairement les dispositions concernant la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ce qui a l’avantage de la simplifier, de la clarifier et de la rendre plus cohérente, en plus de lui donner un caractère contraignant. La PSDC fait partie intégrante de la PESC. Toutefois, contrairement à la PESC qui est enchâssée dans le traité sur l’UE (TUE) depuis 1993, la PSDC a évolué au cours de la dernière décennie en marge des traités, au fil des conclusions du Conseil européen.
Ce traité institutionnalise également l’Agence européenne de défense (AED) qui a évolué depuis 2004, elle aussi, en marge des traités. Cette initiative va permettre à l’AED de poursuivre avec plus de légitimité et d’efficacité le développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement au sein de l’UE, à l’heure de la mise en place d’une base industrielle et technologique de défense européenne et d’un marché européen des équipements de défense.
Les innovations sur le plan institutionnel
Le traité de Lisbonne apporte également son lot d’innovations institutionnelles. Il modifie le poste de Haut représentant pour la PESC qui devient le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, car il le combine au poste de commissaire responsable des relations extérieures. C’est la Britannique Catherine Ashton qui a été nommée à ce poste pour un mandat de cinq ans. Elle préside également le Conseil des Affaires étrangères et est l’une des vice-présidentes de la Commission européenne. Par conséquent, en plus de s’assurer du bon déroulement de la PESC/PSDC, elle représente l’UE sur la scène internationale avec le soutien du Service européen pour l’action extérieure. Elle a aussi autorité sur les délégations de l’Union à travers le monde, anciennement celles de la Commission européenne, soit plus de 130 délégations auprès des organisations internationales et des États tiers. En outre, un nouvel acteur entre en scène : il s’agit du président stable et à temps plein du Conseil européen. L’ancien premier ministre belge, Herman Van Rompuy a été élu à ce poste pour un mandat de deux ans et demi. Il doit lui aussi représenter l’UE sur la scène internationale, comme Mme Ashton et José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, en plus de présider, préparer et gérer les travaux du Conseil européen.
Ces innovations visent à mettre fin aux chevauchements inutiles ainsi qu’à accroître la visibilité, la cohérence et l’efficacité de l’activité internationale de l’UE. À cet égard, le traité de Lisbonne réitère la nécessité de coordonner et de faire se concerter les États membres dans les enceintes internationales, y compris au sein du Conseil de sécurité. Les États membres qui y siègent doivent, en plus de tenir leurs partenaires européens informés, demander que la haute représentante soit invitée à présenter la position de l’UE sur le dossier à l’ordre du jour lorsque cette position a été définie.
Les nouveaux postes, occupés par Mme Ashton et M. Rompuy, viennent transformer dans les faits la présidence tournante du Conseil de l’UE, traditionnellement assurée à tour de rôle par un des États membres. Si la présidence semestrielle demeure, elle est responsable, au niveau des ministres, des formations spécifiques du Conseil, par exemple Affaires économiques et financières, à l’exception de celle des Affaires étrangères. Il reste à voir dans la pratique comment la transition institutionnelle va se dérouler. Les États membres qui ont souvent profité de cette tribune pour défendre leur position au sein de l’UE et rayonner sur la scène internationale vont devoir concilier leurs ambitions politiques nationales avec l’émergence d’une Europe politique mieux organisée et personnalisée. Les représentants de l’Espagne, premier pays responsable de la présidence du Conseil depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ont déjà manifesté leur volonté de continuer à jouer un rôle actif dans les affaires étrangères, en organisant entre autres une série de rencontres internationales dans leur pays. Le défi de la cohérence en matière de représentation extérieure de l’UE est de taille, et il reste à savoir si le traité de Lisbonne qui précise le champ de compétences des différents acteurs peut s’imposer sur les prétentions des uns et des autres en la matière.
Les innovations sur le plan stratégique
Aux côtés de ces innovations juridiques et institutionnelles, des mesures sont également mises en place pour renforcer l’Europe politique sur le plan stratégique. Une clause d’assistance mutuelle en cas d’agression armée sur le territoire d’un des États membres est institutionnalisée dans le traité. Sans remettre en question les engagements pris par les membres de l’OTAN avec l’article 5, elle oblige néanmoins les États de l’UE à aider et à assister leur partenaire par tous les moyens nécessaires. De même, une clause de solidarité introduit le devoir de porter assistance en cas d’attaque terroriste, de catastrophe naturelle ou d’origine humaine à l’endroit de l’un des États membres. Également, un mécanisme de coopération structurée permanente a été mis en place. Il permet aux États membres, remplissant les critères et souscrivant aux engagements en matière de capacités militaires, de poursuivre des coopérations et de mener des missions plus exigeantes.
À ce jour, l’UE a mené plus d’une vingtaine de missions civiles et militaires qui s’inscrivent dans le cadre des missions de Petersberg. Dans le traité de Lisbonne, ces missions sont élargies aux actions conjointes en matière de désarmement, aux missions de conseil et d’assistance en matière militaire, aux missions de prévention des conflits et aux opérations de stabilisation postconflit pouvant contribuer à lutter contre le terrorisme. Dans la perspective de la multiplication de ces missions, la question de leur financement se pose avec acuité, d’autant plus qu’elle a souvent été à l’origine de tensions interinstitutionnelles. C’est pourquoi un fonds de lancement, constitué de contributions des États membres, a été créé. Son but est de financer les activités préparatoires des missions et de faciliter leur déroulement lorsqu’elles ne peuvent pas être prises en charge par le budget de l’UE.
Le traité de Lisbonne constitue donc une étape déterminante dans un long processus de réformes. Il a été rendu nécessaire à la suite des élargissements de l’UE, qui ont imposé une restructuration du cadre institutionnel et la mise en place de procédures simplifiées. De même, les développements de la PESC/PSDC requièrent une cohérence et une efficacité accrue de tous les instruments liés à l’activité extérieure de l’UE. Par conséquent, des avancées considérables sont possibles, mais seule la mise en application du traité nous permettra de voir si elles sont suffisantes pour atteindre les objectifs stratégiques de l’UE, qui souhaite s’affirmer davantage sur la scène internationale.
Pour en savoir plus
Conseil. Traité de Lisbonne. En ligne.
http://www.consilium.europa.eu/show....
Fondation Robert Schuman. Le traité de Lisbonne expliqué en dix fiches. En ligne.
http://www.robert-schuman.org/doc/d....
Toute l’Europe. Un nouveau traité pour l’Union européenne. En ligne.
http://www.touteleurope.fr/fr/actio....