Il y avait longtemps que l’on n’avait pas vu cela ! C’est par de très fortes majorités, tant à la Chambre des Représentants qu’au Sénat, que le Congrès des États-Unis a ratifié l’accord de libre-échange (Trade Promotion Agreement) avec le Pérou [1] . La Chambre des Représentants l’a ratifié le 8 novembre par 285 voix contre 132 et 16 abstentions, et le Sénat le 4 décembre par 77 voix contre 18 et 5 abstentions [2] . Certes, le vote s’est divisé entre les Démocrates à la Chambre [3] , mais la discipline de parti a malgré tout joué et un nombre inhabituel de représentants démocrates ont écouté les appels de leurs leaders à un vote massif en faveur de l’accord.
L’administration Bush se vante déjà d’avoir obtenu un vote bipartisan [4] , mais ce sont les Démocrates qui sortent grands gagnants du débat. Ils ont d’abord démontré qu’ils n’étaient pas le parti de l’anti-commerce mais, au contraire, qu’il était possible de faire du commerce « autrement » tout en défendant les intérêts commerciaux des États-Unis. Ensuite, ils ont prouvé que l’accord intervenu le 10 mai dernier entre le Congrès et la Présidence était solide : les négociateurs américains ont repris leur bâton de pèlerin, renégocié en profondeur les chapitres sur le travail et l’environnement, apporté des changements substantiels aux chapitres sur la propriété intellectuelle, l’investissement et les marchés publics [5] , introduit des dispositions originales concernant les médicaments génériques et rassuré les conservateurs sur la sécurité dans les ports. Tout cela en conformité avec ce qui avait été convenu dans l’accord du 10 mai. Enfin, la chose est désormais acquise : non seulement l’accord avec le Pérou est désormais le premier accord qui reconnaît pleinement les normes fondamentales du travail de l’OIT [6] sans rien enlever à ce qui faisait l’originalité des clauses sociales américaines, soit l’obligation d’offrir des « conditions de travail acceptables en matière de salaires minima, d’heures de travail et de santé et de sécurité au travail » [7], mais c’est aussi le premier accord qui octroie la parité aux dispositions relatives au travail et ouvre ainsi la possibilité de recourir au mécanisme de règlement des différends. Autre originalité : l’accord donne préséance aux obligations environnementales sur les obligations commerciales, ce qui prouve qu’il est possible de concilier les droits du commerce avec les autres droits.
L’accord ne bouleverse certainement pas les règles commerciales établies, ni ne modifie en rien les grandes orientations de la politique commerciale américaine, mais, pour l’administration Bush et les tenants du libre-échangisme à tout prix, il s’agit d’un recul certain et, pour les partisans d’une mondialisation à visage humain, d’un pas dans la bonne direction. De plus, en reconnaissant les normes internationales du travail, l’accord déplace les débats vers les États-Unis, ce que veulent les défenseurs des droits de l’environnement et du travail ; il leur sera désormais très difficile de demander aux autres pays de respecter les normes fondamentales du travail et de signer les conventions afférentes, et de continuer, comme ils le font, de défendre la distinction entre les lois fédérales et les autres ou encore de se réfugier derrière l’argument selon lequel les lois américaines reconnaissent déjà les normes fondamentales du travail pour ne pas signer les conventions de l’OIT. Décidément, même s’il doit encore, pour reprendre l’adage américain, passer le test du pudding, l’accord avec le Pérou ouvre des perspectives intéressantes. Reste à voir maintenant ce qu’il adviendra des autres accords commerciaux qui sont en attente (Panama, Colombie et Corée), notamment celui avec la Colombie ; dans son cas, les débats risquent d’être un peu plus épicés…
Notes
[1] L’accord avait été ratifié par le Congrès du Pérou le 28 juin 2006 par 79 voix contre 14 et 7 abstentions.
[2] La Commission des finances du Sénat avait approuvé l’accord le 21 septembre par 18 voix contre 3, mais c’est la Commission des voies et moyens de la Chambre qui avait créé la surprise en lui apportant un appui unanime le 25 septembre.
[3] Démocrates : 109 pour, 116 contre et 8 abstentions ; Républicains : 176 pour , 16 contre et 8 abstentions.
[4] L’administration a également commencé à vanter l’accord dans son combat contre les projets régionaux du président Chavez.
[5] Les dispositions sur les marchés publics sont très favorables aux États-Unis, mais elles ouvrent une piste intéressante en donnant la possibilité d’accorder prioritairement les contrats aux entreprises qui respectent les normes fondamentales du travail.
[6] The United States – Peru Trade Promotion Agreement, Chapter Seventeen, “Labor”, disponible à l’adresse : http://www.ustr.gov/assets/Trade_Ag...
[7] L’accord n’oblige toutefois pas les parties contractants à signer les conventions de l’OIT afférentes aux cinq droits fondamentaux.