Cahier de recherche Continentalisation, no. 07-05, 30 novembre 2007. ISSN 1714-7638
Une autre version de cet article a été publiée dans Mondes en Développement :
Éric Boulanger, Christian Constantin et Christian Deblock, « Le régionalisme en Asie : un chantier, trois concepts », Mondes en Développement, Vol. 36, no 144, 2008, pp. 91-114.
Les perspectives américaine, chinoise et japonaise sur le régionalisme asiatique.
Dans un article qui disséquait le concept de multilatéralisme pour mieux l’adapter à la réalité de l’après-guerre froide, John Ruggie suggérait, en 1992, l’hypothèse – qui a fait école – selon laquelle les circonstances pacifiques entourant la fin de la guerre froide en Europe étaient dues à la présence de « normes et d’institutions multilatérales » comme l’UE et l’OTAN en mesure de non seulement stabiliser la région, mais aussi de mettre fin à la politique de l’équilibre des puissances et des alliances bilatérales qui dominent le vieux continent depuis 1815. Par contre, en Asie, l’absence de telles institutions multilatérales a justement « empêché l’adaptation progressive [de l’Asie] aux changements globaux
fondamentaux » comme le révèle l’ancrage sécuritaire de la région dans « l’alliance bilatérale anachronique » des États-Unis et du Japon. L’Asie ne peut espérer mieux qu’un « équilibre de puissance modérément stable », écrit Ruggie, alors que l’Europe vogue vers une nouvelle ère de paix. Malheureusement cette hypothèse a trop souvent été reprise textuellement, sans aucun regard critique, et elle a marqué durablement les analyses politiques de l’Asie en l’associant à la triple ascension du nationalisme, des rivalités économiques et militaires et de la Chine pour rejeter l’idée même de régionalisme asiatique. Pourtant, comme le font remarquer Peter Katzenstein et Rudra Sil, alors que l’Asie aurait dû être l’objet de rivalités intenses et de conflits armés, c’est l’Europe supposément pacifique et multilatérale qui a été le théâtre des conflits parmi les plus importants des années 1990 ! Si l’Asie orientale n’a pas été exempte de turbulences et de conflits politiques et socioéconomiques – de la crise financière asiatique (CFA) à la crise
des missiles et du nucléaire en Corée du Nord – elle a su maintenir un « consensus régional sur la primauté de la croissance économique et ses liens serrés avec la stabilité sociale, l’ordre sociétal et la paix et la stabilité régionales ». L’Asie du Sud-Est n’est pas en reste : les pays membres de l’ASEAN, depuis sa fondation en 1967, n’ont jamais été en guerre, faisant de cette région la plus stable du monde en développement. En définitive, l’Asie a bien tiré son épingle du jeu, compte tenu de la survivance des vieilles rivalités et institutions de la guerre froide à l’effondrement du communisme, et sa stabilité montre qu’il est possible d’obtenir des résultats en préférant la « discussion, la consultation et le consensus » au sein d’institutions multilatérales souples, peu légalistes et fondées sur les relations personnelles.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION : UNE ASIE PACIFIQUE ET RÉGIONALISTE
UNE NOUVELLE IDENTITÉ POUR L’ASIE
– Les États-Unis : une alliance trans-Pacifique démocratique, ouverte et intégrée.
– La Chine : une Asie stable et ouverte pour une puissance mondiale responsable en devenir
– Le Japon : un régionalisme light et fonctionnel
CROISSANCE ET OUVERTURE ÉCONOMIQUES, MAIS AU BÉNÉFICE DE QUI ?
– Les États-Unis : rester en Asie pour amadouer (et endormir) le dragon chinois
– La Chine : le régionalisme, ça se fait entre bons voisins. Une évidence qui rend tout débat inapproprié…
– Le Japon : le régionalisme comme outil de puissance économique
OUVERTURE, BON VOISINAGE OU FONCTIONNALISME COOPÉRATIF ?
– Les États-Unis : sauver le régionalisme ouvert de l’APEC
– La Chine : institutionnaliser le bon voisinage
– Le Japon : le fonctionnalisme coopératif et puis on verra après…
SYNTHÈSE PRÉLIMINAIRE