Alors que tous les regards à Washington étaient encore braqués sur le déficit public et la dette américaine, le 11 août le rapport mensuel du BEA et de l’U.S. Census Bureau sur le commerce extérieur est venu rappeler à notre bon souvenir l’autre déficit, tout aussi monstrueux que son jumeau le déficit public : « The June goods and services deficit ($53.1 billion) was the highest since October 2008 ($59.5 billion) ». De quoi faire immédiatement réagir les responsables du commerce et ne pas en rajouter davantage alors que l’économie américaine accumule les mauvais chiffres. Les chiffres à venir pour le mois de juillet seront peut-être plus favorables mais le fait est que le déficit ne se résorbe pas aussi rapidement que le voudraient les responsables politiques, alimentant ainsi par l’autre porte la dette américaine. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que le président Obama se soit beaucoup préoccupé de la politique commerciale américaine, encore moins de cette véritable bombe à retardement qu’est le déficit. Mais comment aborder le problème ? Les explications traditionnelles se divisent entre celles qui y voient un problème de change, celles pour qui le déficit est le symptôme le plus visible d’une Amérique qui vit au-dessus de ses moyens et celles pour qui la source du problème est ailleurs, dans le mercantilisme aujourd’hui pratiqué à grande échelle par certains pays. La piste de discussion que nous voulons ouvrir dans cette note est la suivante : aucune de ces explications ne peut suffire aujourd’hui à rendre compte d’un problème qui trouve moins sa source dans les déséquilibres macro-économiques ou les désordres monétaires, que dans les transformations rapides de l’économie mondiale et le basculement de son centre de gravité vers l’Asie en général et la Chine en particulier.
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Commentaires
Il me semble pour autant que certains arguments soulevés il y a quelques années restent valides, surtout depuis la dégradation de la note de la dette américaine (depuis cette dégradation les taux US ont d’ailleurs baissé alors qu’on nous prédisait l’enfer pour les États-Unis en cas de dégradation).
Il me semble pour autant que certains arguments soulevés il y a quelques années restent valides, surtout depuis la dégradation de la note de la dette américaine (depuis cette dégradation les taux US ont d’ailleurs baissé alors qu’on nous prédisait l’enfer pour les États-Unis en cas de dégradation). Il me semble que ce déficit, et ces déséquilibres en général, sont un symptôme, une conséquence de l’instabilité financière internationale. Le commerce mondial ne représente plus grand-chose à vrai dire dans l’économie mondiale (à peine 8 téra-dollars, pour un PIB mondial de 60 téra dollars en 2008 (avant la crise), et des flux monétaires de près de 3600 téra-dollars par an !). Pourquoi autant d’insistance sur cet aspect de l’économie mondiale de la part des économistes ?!
Le facteur entrainant demeure la finance mondiale. Aucun argument, semble-t-il, sur le comportement des banques américaines avec les exportateurs US, alors que ces banques sont dans de grandes difficultés (voir les travaux de Roubini sur ce point, et la référence Susan Strange). Mais c’est un épiphénomène encore une fois puisque la question n’est pas de savoir en quoi la finance aide le commerce, mais bien en quoi le déficit commercial est une conséquence de l’instabilité financière internationale.
Le seul argument qui me convainc est le suivant : le déficit, la dette US, est nécessaire à la finance mondiale, car elle la sécurise à mesure qu’elle creuse l’instabilité (c’est le péché originel de Bretton-Woods ; pas de mécanisme de rééquilibre automatique et violent des BDP, comme le souhaitait Keynes, donc nécessité de valorisation du capital avec de la dette « crédible »). Dans les portefeuilles d’actifs de tous ces acteurs financiers globaux, qui ont une emprise majeure sur toute l’économie mondiale, il doit y avoir des actifs « réputés » sûrs, notamment des obligations d’Etat. Je pense que le vrai caractère de la globalisation financière, c’est la construction sociale et politique de la fuite de vers la qualité (vers le titre du trésor US, et allemand dans une moindre mesure), à savoir le fait que dans un univers financier hypertrophié, donc hyper-instable, il faut, pour des raisons à la fois de valorisation du capital mais aussi institutionnelles, des actifs liquides, donc produits en masse et censés sûrs.
Conséquence : je ne pense que tout le raisonnement que vous utilisez demeure un peu trop nationalo ou plutôt stato centré. Le problème, c’est la relation entre la sphère financière et la sphère réelle et la nécessité pour la première que la seconde génère de la dette. Ne pas voir la frontière, la balance des paiements, comme un instrument de mesure de l’effet frontière, mais comme un instrument de mesure de la lutte (de l’articulation) entre l’économie réelle et la finance (même si là encore l’économie dite réelle représente bien peu par rapport aux flux de monnaie).
Dans un autre registre, on ne peut plus faire l’impasse sur l’économie offshore (la moitié des flux financiers mondiaux ! l’essentiel du financement « externe » de la croissance chinoise ! le lieu où on cache, précisément, les gains, mais surtout les pertes).
Enfin, un dernier élément me semble essentiel à creuser. Est-ce la capacité innovatrice des États Unis qui est en balance, ou leur capacité 1- à attirer les cerveaux, 2- à empêcher d’utiliser les droits de propriété comme barrière à l’entrée dans les secteurs où sont encore compétitifs ?
Grégory Vanel
Professeur à l’Institut Supérieur Européen de Gestion (Lyon)