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Périmètre de sécurité nord-américain - Plus de bénéfices que d’inconvénients

16 décembre 2010 , par Justin Massie, Stéphane Roussel

Stéphane Roussel et Justin Massie. « Périmètre de sécurité nord-américain - Plus de bénéfices que d’inconvénients », Le Devoir, 16 décembre 2010.

Le Globe and Mail révélait récemment que le Canada et les États-Unis sont à négocier les termes d’une entente qui formaliserait le « périmètre de sécurité » nord-américain. Concrètement, cette entente porterait sur une approche intégrée du contrôle des personnes et des marchandises entrant en Amérique du Nord et de l’échange d’information entre les autorités des deux pays.

L’idée de périmètre de sécurité a été évoquée pour la première fois en 2000 par l’ambassadeur des États-Unis au Canada, Gordon D. Giffin, et désigne un ensemble de mesures visant à faciliter la circulation des personnes et des marchandises entre le Canada et les États-Unis, tout en renforçant les contrôles contre les menaces venant de l’extérieur du continent.

Ces mesures sont essentiellement de trois ordres : le renforcement de mesures existantes et l’approfondissement de la coopération entre les autorités civiles et militaires des deux pays ; le recours systématique aux technologies de pointe, dont la biométrie ; l’harmonisation des politiques et des réglementations nationales dans les domaines du contrôle des frontières, de l’échange de renseignements et de l’application des lois.

Prolongement

Ce sont surtout les mesures relevant du troisième point qui rendent le concept difficilement acceptable pour les Canadiens, puisqu’elles signifient qu’Ottawa doive s’ajuster à la réglementation et aux procédures américaines. Voilà qui explique pourquoi Michael Ignatieff accuse le premier ministre Harper de participer « à des négociations secrètes qui compromettent la souveraineté et la liberté des Canadiens ».

Le premier ministre Chrétien avait formellement banni, dès octobre 2001, l’expression du vocabulaire officiel du gouvernement canadien ; pourtant, dans les faits, un « périmètre » devait être mis en place dans les mois suivants. L’adoption par Ottawa de mesures antiterroristes, la signature d’ententes bilatérales sur la coopération aux frontières, dont la mise en place d’une « frontière intelligente », ou encore la création d’institutions de sécurité très semblables des deux côtés de la frontière sont autant d’initiatives qui relèvent de la notion de périmètre —, ceci même si l’on refusait des les qualifier ainsi. Les négociations qui seraient en cours doivent donc être perçues comme le prolongement de ce qui existe déjà.

Les logiques du périmètre de sécurité

La création d’un tel périmètre de sécurité répond à trois logiques solidement ancrées dans la politique étrangère canadienne. La première est d’ordre économique : le Canada est un État marchand dont la prospérité dépend étroitement du commerce international. Puisque ce commerce s’effectue avant tout avec les États-Unis (75 % des exportations et plus de la moitié des importations en 2009), la préservation d’une frontière ouverte constitue un impératif vital pour la prospérité du Canada. En faisant des concessions destinées à rassurer les États-Unis en matière de sécurité, le Canada espère ainsi réduire les obstacles à la libre circulation transfrontalière. Il s’agit d’éviter un second 12 septembre 2001, jour où la frontière canado-américaine fut fermée temporairement par les autorités américaines.

La seconde logique est d’ordre stratégique. Depuis 1938, la relation de sécurité entre le Canada et les États-Unis est fondée sur une entente de réciprocité limitée. D’un côté, les États-Unis s’assurent de protéger le Canada contre toutes menaces provenant de l’extérieur du continent. De l’autre, le Canada s’engage à mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour éviter que son territoire serve de base d’opérations à des ennemis de son voisin du Sud.

La troisième logique, plus récente, est de nature politique. De nombreux Canadiens croient qu’Ottawa doit aligner plus clairement ses politiques sur celles de Washington. En effet, puisque les États-Unis sont les seuls à pouvoir maintenir l’ordre et la stabilité du système international, de même que la sécurité et la prospérité du Canada, il est du devoir et de l’intérêt du Canada d’appuyer les politiques assurant la préservation de l’hégémonie américaine.

Coûts et bénéfices d’un périmètre

Si la création d’un périmètre semble répondre aux intérêts fondamentaux du Canada, ce n’est pas sans raison que Jean Chrétien refusait d’en reconnaître l’existence, tant les conséquences étaient politiquement explosives. En premier lieu, plusieurs craignaient que « l’harmonisation » des mesures de sécurité mène à une forme d’américanisation de l’organisation et de la gestion de la sécurité au Canada, d’une manière qui brime certaines valeurs chères aux Canadiens, telles que le respect des droits individuels (dont la protection des renseignements sur la vie privée).

En second lieu, en s’associant ainsi aux États-Unis, le Canada risque de perdre une partie de son identité internationale et de projeter l’image d’un pays servilement à la remorque de Washington. Il perd alors de sa crédibilité comme interlocuteur indépendant et peut devenir une cible pour les ennemis des États-Unis.

Enfin, en troisième lieu, plusieurs questions liées à l’évolution de ce périmètre restent encore sans réponse. La plus délicate est certainement celle de la place que devra presque inévitablement y occuper le Mexique. Pour l’heure, il ne s’agit que de discussions bilatérales, mais si elles devaient s’engager sur un plan trilatéral (comme le voudraient les impératifs de l’Accord de libre-échange nord-américain), ceci ouvrirait une véritable boîte de Pandore dans la mesure où les ajustements qu’exigeront l’intégration de ce pays et les difficultés qui en surgiront seront particulièrement difficiles à mettre en oeuvre.

Règles claires

Bon nombre de ces craintes alimentent encore aujourd’hui la réflexion. Toutefois, les bénéfices d’un périmètre l’emportent sur les inconvénients. D’une part, aucun gouvernement en place à Ottawa ne peut se permettre un nouveau ralentissement brutal des échanges comme cela s’est produit le 12 septembre 2001. D’autre part, il vaut mieux un accord imparfait que pas d’accord du tout. Des règles claires entre les deux pays, établies avant qu’une crise majeure ne surgisse, constituent sans doute la meilleure garantie dont dispose Ottawa pour résister aux dérapages et aux dérives sécuritaires toujours possibles aux États-Unis.

À ces considérations s’ajoute le fait qu’en officialisant ce qui existe déjà de manière parcellaire, le gouvernement Harper devrait dès lors répondre de ses décisions au Parlement, plutôt que de se taire sous prétexte qu’il ne s’agit que de rumeurs colportées par les médias.

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