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La politique commerciale des États-Unis dans le nouveau contexte économique américain et mondial

15 février 2010 , par Pierre-Paul Proulx

Par Pierre-Paul Proulx, Professeur Honoraire, Département des Sciences Économiques, Université de Montréal.

1) Introduction : La croissance de la région Asie-Pacifique et la réorientation de la politique commerciale américaine dans un contexte de ralentissement économique et de pressions protectionnistes.

Quoiqu’au ralenti et même stoppés et renversés pour ce qui est de certaines modalités, et compte tenu des effets importants de la récession sur le niveau de chômage qui persiste toujours en 2010, les États-Unis poursuivent la libéralisation de leur régime commercial sur une base préférentielle. Une panoplie de mesures protectionnistes persiste encore pour accorder un niveau de soutien élevé aux secteurs de l’agriculture et de l’énergie. Entre autres, on a vu apparaître des mesures protectionnistes i.e., les tarifs imposés sur les importations de pneus chinois et sur les fromages européens, ainsi que l’utilisation de l’article Buy American dans le programme de stimulation de l’économie du Président Obama. Plusieurs ententes bilatérales, dont celles avec la Corée,…. sont restées en plan, reflet d’un sentiment de protectionnisme réel aux États-Unis.

D’autres entraves peuvent se manifester étant donné les préoccupations liées à la récession, la croissance lente, les soucis de sécurité et l’environnement.

On a constaté une diminution régulière du déficit budgétaire fédéral entre 2004 et 2007, lequel n’était plus que de 1,2% du PIB pour l’exercice 2007. Toutefois, en raison du ralentissement de l’activité économique survenu à la fin de 2007 et des mesures budgétaires prises pour y remédier, le déficit s’aggrave depuis 2008 et ce, de manière significative depuis 2009.
Entre 2007 et 2010, les dépenses publiques américaines en pourcentage du PIB ont augmenté de 6,3 points de pourcentage, le déficit fiscal de 11,4 points de pourcentage et la dette publique, de 28 points de pourcentage pour atteindre 43,7% , -14,2% et 91,1% du PIB de 2010 [1].

Toutefois, on ne saurait tenir pour acquis que le déficit peut perdurer, car il comporte certains risques, y compris une montée du protectionnisme. Le déficit du compte courant reflète un décalage entre l’épargne et l’investissement. Pour résorber cet écart, les États-Unis devront relever leur taux d’épargne.

Entre 2008 et 2009, les exportations de biens américains ont chuté de 1,2 milliards (trillion) $ U.S. à 947 milliards (billion) pour la période janvier-novembre.

La réduction du déficit du compte courant exige, entre autres, un accroissement des exportations, mesure annoncée par le Président Obama dans son Discours à la nation prononcé à la fin du mois de janvier, lors duquel il annonçait des subventions et des aides aux PME pour promouvoir leur développement et doubler les exportations américaines en cinq années (ces mesures étant indiquées, car les Américains travaillant dans les secteurs exportateurs ont une rémunération de 18% plus élevée que celle de l’Américain moyen).

La reprise incertaine du PIB n’est pas encore accompagnée par une reprise de l’emploi. Le taux de chômage national demeure encore à 10% et se situe au-delà de 12% dans nombre d’États au début 2010, d’où l’apparition de pressions protectionnistes importantes.

Selon des sondages d’opinion cités par le USTR, seulement 25% des Américains croient que la mondialisation profite aux États-Unis. Seulement 13% des Américains croient que les ententes commerciales créent de l’emploi et 50% sont d’avis que les ententes commerciales donnent lieu à des pertes d’emplois. 30% des Américains sont d’avis que les ententes commerciales nuisent aux États-Unis, et plus de 40% sont d’avis que la libéralisation des échanges a nui à leur situation financière personnelle.

On comprend facilement que l’Administration Démocrate tergiverse et n’agisse pas en ce qui concerne la libéralisation des échanges, bien au contraire, d’autant plus que la situation économique préoccupe les esprits, tel que l’a indiqué le Président Obama dans son Discours à la nation en janvier 2010.

2) La montée en puissance de la région Asie-Pacifique et l’adaptation de la politique commerciale américaine

De plus, les pressions protectionnistes se présentent, dans un contexte de sortie de récession américaine, et mondiale, chancelante et de montée en puissance de la Chine et de l’Inde en Asie du Pacifique, changements qui imposent et imposeront des modifications importantes à la politique commerciale américaine.

Dans un article paru au début 2010 dans le réputé périodique Foreign Affairs, le professeur J. Goldstone, parlant entre autres des prévisions démographiques (révisées en 2008) de la Division de la Population des Nations Unies, et d’articles parus dans The Economist, indique que l’on anticipe que le poids démographique des pays industrialisés diminuerait de près de 25% d’ici l’an 2050 [2].

En 2003, les populations de l’Europe, des États-Unis et du Canada représentaient 17% de la population mondiale. Les prévisions des Nations Unies indiquent que cette part serait de 12% en 2050, selon l’hypothèse de croissance moyenne.

Selon les données d’Angus Madison, l’Europe, les États-Unis et le Canada produisaient 32% du PIB au début du 19ième siècle. En 1950, il s’agissait de 68% (compte tenu de la parité des pouvoirs d’achat). Cette proportion a chuté à 47% en 2003. En projetant les taux de croissance observés entre 1973 et 2003 (1,68% annuellement pour l’Europe, le Canada et les États-Unis et 2,47% pour le reste du monde), la part du PIB mondial produit par l’Europe, les États-Unis et le Canada serait en 2050 de moins de 30%, chiffre inférieur à celui de l’année 1820. Ces données indiquent que près de 80% de la croissance du PIB mondial entre 2003 et 2050 se produira hors de l’Europe, des États-Unis et du Canada.

Selon Robert Fogel, le revenu chinois par personne serait de 85,000$ U.S., soit deux fois plus que celui de l’Union Européenne et, de beaucoup plus élevé, que celui de l’Inde et du Japon. La part de la Chine serait de 40% du PIB mondial, celle des É.U. de 14% et celle de l’Union Européenne de 5% en 2040.

Inutile de noter que nous sommes dans une ère multipolaire, où l’hégémonie des États-Unis est de plus en plus limitée et son rôle, à redéfinir [3].

Certaines initiatives récentes des États-Unis indiquent que l’on a commencé à s’adapter à ces nouvelles réalités.

La nature de ces initiatives vis-à-vis l’Union Européenne a été discutée dans le chapitre 10 de notre Manuel sur le Commerce International, dont nous sommes en voie de préparer la 4ième édition. Nous passerons ce sujet sous silence ici.

En 2008, la région Asie-Pacifique était la destination de 747 milliards de $ U.S. d’exportations, une augmentation de 8% par rapport à 2007. Les exportations de produits agricoles étaient de 76 milliards $ U.S., en augmentation de 30% par rapport à l’année précédente. Les exportations de services américains ont augmenté de 187 milliards en 2008, les PME américaines étant responsables de 173 milliards d’exportations américaines. L’effet Asie-Pacifique commence déjà à se faire sentir.

Notons qu’au début de l’année 2010, la Chine et 10 pays de l’ASEAN ont donné naissance à la 3ième plus imposante zone de libre-échange au monde. Il existe plus de 175 ententes de libéralisation des échanges préférentielles dans la région Asie-Pacifique ; 20 étant en attente d’acceptation et 50 en cours de négociation. La part américaine du commerce en Asie du Pacifique a déjà diminué et pourrait, en conséquence de ces ententes, continuer à diminuer.

Le 14 décembre, le USTR a avisé le Congrès de l’intention de l’administration Obama de débuter des négociations pour en arriver à une entente Trans-Pacifique (TPP). Cette négociation commencera avec les sept pays suivants : l’Australie, Brunei Darussalam, le Chili, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam – l’intention des États-Unis étant d’en faire une plateforme pour l’intégration en Asie du Pacifique.

Un autre élément de la stratégie commerciale des États-Unis visant la région Asie du Pacifique implique l’APEC, dont les membres comptent pour près de la moitié du commerce mondial et plus de 40% de la population mondiale.

La Chine, la Corée, le Japon et la majorité des pays de l’ASEAN sont membres de l’APEC. Entre autres, on y travaille sur le commerce des services et des investissements, les règles d’origine, la simplification de la documentation pour faciliter les flux commerciaux, les réseaux logistiques et de transport, la transparence et l’accessibilité de l’information douanière et des réglementations nationales. Lors de la réunion de l’APEC de 2011, qui aura lieu aux Etats-Unis, on examinera aussi les barrières au commerce et à l’investissement dans les domaines de l’environnement et des services.

Début 2010, le USTR continuera à s’intéresser à l’entente avec la Corée et à en préparer la présentation au Congrès, et ce, en entreprenant les consultations nécessaires avec le Congrès et les industries impliquées. Cette entente comporte des modalités nouvelles pour traiter de la protection de la propriété intellectuelle, de la transparence et de mesures non-tarifaires. Cependant, des sujets demeurent difficiles dans les domaines de l’auto et du bœuf ; sujets dont le USTR discutera avec les acteurs impliqués.

Les États-Unis continueront leurs discussions sur les assurances, les autos et le boeuf avec le Japon et la Chine, discussions qui occuperont beaucoup le USTR en 2010.

L’adaptation américaine a sa place et son rôle dans le nouveau contexte mondial, mais il reste beaucoup à faire avec de nouveaux partenaires, telle que la Chine.

Le souci omniprésent de l’Administration Obama pour la reprise économique, la révision du système des soins de santé et la révision de la réglementation du système financier laissent cependant peu de place, dans le court terme, aux initiatives visant le commerce international.

Notes

[1Données de la Commission Européenne, prévisions du printemps 2009.

[2J.A. Goldstone. « The New Population Bomb, The Four Megatrends that will change the world » Foreign Affairs, January/February 2010, volume 89, numéro 1, pp. 31 à 44.

[3R. Fogel, directeur du Center for Population Economics a l’Université de Chicago Booth School of Business, gagnant du Nobel Memorial Prize en Économique de 1993, tel que présenté dans « The 123 Trillion Economy », Foreign Policy », January-February 2010, pp. 72-75.

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