Dossier
Croissance économique et luttes contre les inégalités et la pauvreté. Étude comparée des politiques et des stratégies
Appel à articles
1. Mise en perspective
Depuis de nombreuses années, on observe un transfert significatif de richesse en direction des économies dites émergentes. Plus connus sous le vocable d’économies à marchés émergents – c’est-à-dire des espaces économiques qui sont localisés à l’extérieur du centre capitaliste développé et qui se sont embarqués dans un processus de croissance et d’industrialisation rapide – ces nouveaux acteurs économiques participent de manière plus active à l’expansion et à la consolidation de l’économie de marché au niveau global.
Ces pays qui, pour la plupart, ne jouaient auparavant qu’un rôle marginal et périphérique dans la grande course pour l’accumulation de la richesse à l’échelle globale, sont parvenus à augmenter leur poids relatif dans l’assiette économique globale. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) - une organisation internationale qui regroupe les pays les plus industrialisés et développés dans le monde – note à ce sujet qu’au cours de l’année 2000 les pays non membres de l’OCDE comptaient pour 40% de l’économie globale. Toutefois ce pourcentage est passé à 49% en 2010, alors que les projections séduisantes pour 2030 sont estimés à près de 57% (OCDE, 2010a).
Dans la majorité des économies dites émergentes, notamment en Asie, en Europe de l’Est, voire même en Afrique, la majorité des indicateurs de croissance connaissent une certaine progression en terme relatif. En Amérique Latine, les années 2000 ont été tout aussi bien très bénéfiques. En dépit de la crise économique de la fin de 2008, le Produit Intérieur Brut (PIB) per capita de la région a augmenté à un taux moyen de 2.2 pour cent par année entre 2000 et 2010 (Banque mondiale, 2013, p. 18). À titre de comparaison, il suffit de se rappeler que la croissance économique de l’Amérique Latine n’était que de -0.2 pour cent dans les années 80 et d’une maigre 1.2 pour cent dans les années 1990.
Il est fort probable que cette croissance retrouvée par les pays qui se situent à l’extérieur du monde développé continue, à des niveaux de fluctuation divers, dans les années à venir. Certains risques et incertitudes - voire même l’acuité de plusieurs facteurs globaux, tels qu’un ralentissement au niveau de la demande externe, une volatilité plus marquante des flux de capitaux internationaux et une baisse des prix des matières premières, pourraient également venir compliquer cette dynamique.
En parallèle, il y a eu une baisse sensible, et parfois considérable, de la pauvreté dans le monde. Toutes les régions du monde ont vu l’extrême pauvreté reculer au cours des trente dernières années. Le nombre de personnes dans le monde vivant sous le seuil d’extrême pauvreté (1,25 dollar par jour et par personne) s’est réduit de 1,9 à 1 milliard entre 1981 et 2011. En Asie de l’Est et Pacifique, notamment sous l’impulsion de la Chine, 161 millions de personnes vivaient avec moins de 1,25 dollar par jour dans cette région du monde en 2011 (soit 7,9 % de la population), alors qu’elles étaient plus d’un milliard en 1981 (78 % de la population). En Amérique latine et dans les Caraïbes, 167 millions de personnes vivaient encore sous le seuil de la pauvreté en 2014 Au cours de l’année 2011, 29% des habitants de la région vivaient sous le seuil de la pauvreté dont 11% en situation de pauvreté extrême (CEPAL, 2013, p. 17).
En même temps, on constate que les inégalités ont connu une forte croissance dans le monde. Selon l’ONG OXFAM, le patrimoine cumulé des 1% les plus riches dépassera en 2016 celui des 99% restants. Les économies émergentes confrontent également cette même spirale d’accroissement des inégalités. Dans le contexte de la dynamique de croissance constatée au sein des pays émergents, il est donc primordial d’explorer la manière dont se conjugue et s’établit la relation entre la croissance constatée au sein de ces nouveaux espaces et acteurs économiques et la lutte contre la pauvreté et les inégalités ?
De plus, dans la plupart des pays qui connaissent une croissance économique rapide, les femmes et les membres des communautés racisées font les frais de cette croissance retrouvée. Dans bon nombre de ces pays, le taux de pauvreté demeure supérieur parmi les femmes que parmi les hommes. Il l’est aussi davantage parmi les populations traditionnellement vulnérables et exclues, tels que les nations autochtones et les divers groupes ethniques et racisés.
Ce phénomène d’expansion économique relative, observé dans certaines économies en développement -notamment celles de l’Amérique Latine mais aussi ailleurs en Asie notamment – accompagné d’une persistance de la pauvreté, souvent relative, mais parfois durable et endémique - réintroduit dans l’analyse l’examen des relations causales entre croissance économique et réduction de pauvreté. Se posent alors un ensemble de questions. Comment, et en vertu de quelles politiques et stratégies, des pays à marchés émergents apportent-ils des réponses à la question de la lutte contre la pauvreté et l’expansion des inégalités ? Quels sont les effets structurels et les résultats concrets des politiques et stratégies de lutte contre la pauvreté et les inégalités ? de transfert monétaire mises en place dans la plupart des sociétés de l’Amérique Latine (et ailleurs) ? Dans la mesure ou les pays adoptent et mettent en œuvre des stratégies différentes, quels sont les facteurs et indicateurs qui participent, informent et différencient ces politiques et stratégies ? Celles-ci induisent-elles des impacts différenciés sur certaines catégories sociales particulières ?
Le numéro de la revue propose d’apporter une réponse à ces différentes interrogations. Il entend explorer et examiner, en même temps, les stratégies et politiques de lutte à la pauvreté et aux inégalités adoptées par les économies en croissance de certains pays à économies de marchés émergents.. La question est de savoir si la prospérité économique retrouvée dans certains pays étudiés peut-être de nature à amoindrir les déséquilibres et déficits historiques et récurrents qui caractérisent leur bilan social.
2. Thématique du numéro
Dans ce numéro de la revue Intervention économique qui porte sur « Croissance économique et lutte contre les inégalités et la pauvreté. Étude comparée des politiques et stratégies », nous recherchons des contributions portant sur des études de cas dans divers pays, dont ceux de l’Amérique Latine et des Caraïbes, de l’Aise et de l’Afrique. Les contributions peuvent être à dominante empirique (résultats et discussion) ou à dominante théorique (de nature plus conceptuelle, à partir des concepts et approches relatives à la thématique).
Nous sommes intéressés en particulier à l’analyse des politiques publiques (emploi, éducation, santé) ainsi que l’étude des stratégies et programmes visant la réduction de pauvreté et des inégalités dans le pays étudié. Le sujet exploré devrait également essayer le plus possible d’inclure dans l’analyse les effets, impacts et résultats concrets de ces politiques sur les individus en tenant compte de la dimension du genre et raciale.
Quatre thèmes seront couverts.
En premier, ce numéro de Interventions Économiques s’intéresse aux instruments de mesure et d’analyse de la pauvreté et des inégalités tenant compte de diverses perspectives. Les travaux faisant état des débats théoriques et méthodologiques dans le champ des politiques de réduction de la pauvreté et des inégalités apporteront un éclairage pertinent à plus d’un titre. Nous sommes aussi intéressés aux travaux portant sur les déterminants politiques, économiques et sociodémographiques de la pauvreté et des inégalités aujourd’hui.
En deuxième lieu, nous recherchons les travaux portant sur les dimensions conceptuelles concernant les économies à marchés émergents en liaison avec les politiques sociales relatives à la réduction de la pauvreté et des inégalités. Cette relation entre la croissance économique de pays qui occupent une place plus importante dans l’orbite de l’économie globale, et les effets de cette croissance sur la réduction de la pauvreté et des inégalités en leur sein, s’impose au moins pour deux raisons. D’une part il est essentiel d’explorer à la lumière de l’évolution actuelle de certaines économies de marché la thèse selon laquelle l’évolution tendancielle de l’économie mondiale, dynamisée par le rattrapage fulgurant de ces pays autrefois situés dans la périphérie, attesterait d’une corrélation positive et bénéfique entre croissance économique et réduction de la pauvreté, voire même des inégalités. D’autre part, en liaison avec les interrogations précédentes, il s’avère utile et pertinent d’effectuer une introspection à l’intérieur du dispositif économique et social de gestion de la pauvreté ainsi que de l’infrastructure de protection sociale des pays étudiés afin d’établir la connexion, si nécessaire et opportune, avec leur croissance économique relative et soudaine.
En troisième lieu, en plus de l’exploration du portrait de la pauvreté, ou des inégalités, dans le pays considéré, nous croyons qu’il est opportun d’étudier plus en profondeur certains indicateurs permettant d’appréhender concrètement les lieux d’atterrissage de ces politiques et stratégies mises en place. Les politiques distributives de la richesse constituent un terrain fertile à ce sujet. De même, les indices relatifs à l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la santé nous paraissent appropriés en vue de mesurer la performance du pays étudié dans le domaine de la réduction de la pauvreté et des inégalités criantes. En quoi et comment, les politiques de réduction de la pauvreté, et/ou des inégalités, établies dans ces pays contribuent-elles à améliorer l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la santé en faveur des populations les plus vulnérables.
En quatrième lieu, la féminisation et l’ethnicisation croissante de la pauvreté constitue l’un des défis majeurs des stratégies de lutte contre la pauvreté. Afin d’y apporter un éclairage,, le numéro s’intéressera aussi aux impacts des politiques et stratégies adoptées sur plusieurs catégories sociales, en particulier les femmes et certaines populations racisées. Ces travaux devront s’inscrire dans une perspective d’intersectionnalité. Ils intègreront, dans la mesure du possible, certaines variables telles que le genre et la race. Dans cette optique, nous souhaitons que les travaux de recherche qui seront soumis apporteront un éclairage autour des effets de ces politiques sur plusieurs axes identitaires et catégories sociales.
3. Comité de coordination responsable de ce numéro
• Deblock, Christian, Université du Québec à Montréal : deblock.christian@uqam.ca
• Tremblay, Diane-Gabrielle, Télé-Université : tremblay.diane-gabrielle@teluq.ca
4. Modalités
Veuillez envoyer le résumé de votre proposition (1 page maximum + coordonnées) avant le 1er novembre 2015 à tremblay.diane-gabrielle@teluq.ca , larose.chalmers@uqam.ca et à deblock.christian@uqam.ca
Une fois la proposition acceptée (réponse 30 novembre 2015), la version complète du texte sera à remettre pour le 15 mars 2016 .
Tous les textes reçus seront examinés par l’équipe de coordination du numéro puis envoyés à deux évaluateurs externes (évaluation à l’aveugle).
5. Protocole de rédaction
Les articles proposés au Comité de rédaction doivent être originaux, ne pas avoir été soumis ailleurs et ne pas avoir été publiés dans une autre langue. Les articles n’excèderont pas 25 pages (incluant tableaux, graphiques et bibliographie) à interligne et demi (ou 50 000 signes) et devront être accompagnés d’un court résumé d’une dizaine de lignes, en anglais et en français, et de cinq mots clé, en anglais et français également.
L’auteur fournira les renseignements suivants : son nom, son adresse, son numéro de téléphone, son adresse électronique ainsi que son titre et son établissement de rattachement.
Les textes seront examinés de façon anonyme par deux lecteurs externes (ou trois s’il n’y a pas entente sur l’évaluation). Les articles soumis présenteront des résultats de recherche originaux et des qualités telles que la lisibilité et la pertinence par rapport à la problématique générale du numéro. Les articles publiés restent la propriété de la revue.
6. Présentation des articles
Les notes seront présentées en fin de texte et seront identifiées en chiffres arabes. La bibliographie complète doit être formulée comme suit :
Livre : Dostaler, Gilles et Michel Beaud (1996). La pensée économique depuis Keynes, Paris, éditions du Seuil, 444 pages.
Revue : Dutraive, Véronique (1993). La firme entre transaction et contrat : Williamson épigone ou dissident de la pensée institutionnaliste, Revue d’économie politique, vol. 103, n° 1, pp. 83-105
Article de livre : Élie, Bernard (1997). Contre l’apartheid économique : le combat politique, dans Juan-Luis Klein, Pierre-André Tremblay et Hugues Dionne (sous la direction de), Au-delà du néolibéralisme : quel rôle pour les mouvements sociaux ?, Études d’économie politique, vol. 13, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, pp. 179-186