Mise en contexte
Trois négociations « partenariales » d’une ampleur inédite se déroulent actuellement simultanément. La première, le Partenariat transpacifique, en anglais Trans-Pacific Partnership, a débuté en mars 2010 et implique douze pays de l’Asie-Pacifique. La seconde, le Partenariat économique régional élargi, en anglais Regional Comprehensive Economic Partnership, a débuté officiellement en mai 2013 ; elle implique les dix pays de l’ASEAN (ou ANASE en français) et les six pays d’Asie-Pacifique avec lesquels l’organisation a des accords commerciaux, soit l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée et la Nouvelle-Zélande. Quant à la troisième négociation, le Partenariat transatlantique, en anglais Transatlantic Trade and Investment Partnership, elle a débuté en juillet 2013 et implique les États-Unis et les 28 pays de l’UE. Parallèlement, les accords commerciaux continuent de proliférer, en Asie tout particulièrement, nouveau foyer du régionalisme. Le régionalisme et l’intégration régionale connaissent aussi un nouveau souffle en Afrique et en Amérique latine. Autre tendance : les partenariats Sud-Sud impliquant pays émergents et pays en développement rivalisent désormais avec les traditionnels partenariats Nord-Sud.
Loin de s’essouffler, le régionalisme économique et commercial continue donc de s’étendre, prenant par la même occasion des trajectoires qui bouleversent nos conceptions du régionalisme mais aussi de l’intégration régionale tout en mettant l’Organisation mondiale du commerce sous tension.
Comme d’autres nous pensons qu’avec la multiplication des partenariats, nous sommes entrés dans une troisième génération de régionalisme économique, en admettant que l’expression fasse encore sens aujourd’hui.
La première génération, que nous pouvons situer à grands traits entre les années 1950 et les années 1970, fut marquée par les influences keynésiennes et le contexte de la guerre froide et de la division Nord-Sud. Il s’agissait alors de créer de grands espaces économiques intégrés, orientés vers des objectifs de solidarité et de développement conjoint et encadrés par des institutions de type communautaire. L’Europe communautaire en fut le grand modèle mais l’Amérique latine ne fut pas de reste, la CEPAL jouant le rôle de bougie d’allumage à un grand nombre de projets.
La deuxième génération de régionalisme s’inscrit dans les années 1980 et 1990. En rupture avec le régionalisme de « l’intégration positive », elle participe de la mondialisation en cours mais également de la fin de la division cardinale du monde. Plus commercial qu’économique, le régionalisme de cette période restera marqué par les grandes initiatives régionales et la prolifération des accords de libre-échange. Orienté autant vers « l’insertion compétitive » dans l’économie mondiale que vers « l’intégration en profondeur » des économies concernées, ce régionalisme, moins géographique qu’institutionnel d’ailleurs, repose sur des institutions de type contractuel et engage les parties dans de nouveaux domaines de négociation, dont les services, l’investissement et la propriété intellectuelle. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en fut le grand modèle.
Une troisième période s’est ouverte dans les années 2000. La mondialisation se poursuit mais cette nouvelle période est marquée non seulement par le basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie, mais surtout par une révolution technologique qui bouleverse autant l’organisation de la vie économique que les relations entre les nations. Les chaînes de production et d’approvisionnement traversent les frontières alors que parallèlement avec le développement du commerce électronique, la production à la fois se dématérialise et se déterritorialise. Reflet de ces changements, le régionalisme prend un visage nouveau, avec le résultat qu’on parle désormais moins d’intégration que d’interconnexion, moins d’accès aux marchés que de facilitation des échanges et de rationalisation de la production, moins de convergence que de cohérence règlementaire, etc. Un nouveau modèle institutionnel semble également émerger, de type partenarial. Il n’y a pas encore en la matière de modèle, mais les trois grandes initiatives mentionnées plus haut, plus inter-régionales d’ailleurs que régionales, portent cette ambition. Ou du moins, chacune de son côté semble vouloir aller plus loin que les modèles antérieurs, et ce en combinant, d’un côté, la coopération et le dialogue renforcé dans le domaine règlementaire et le renforcement des capacités, et de l’autre, les disciplines contractuelles des accords de libre-échange.
Il y a à la fois rupture et continuité. Rupture, dans la mesure où, d’une période à l’autre, le contexte change et le régionalisme économique prend des orientations et des formes institutionnelles différentes. Mais aussi continuité, du moins si nous nous plaçons du point de vue du commerce et de la libéralisation des échanges. Il y a dans ce cas, d’une période à l’autre, à la fois élargissement et approfondissement des négociations commerciales et des droits reconnus aux « marchands » étrangers. L’idée de rupture ne doit pas non plus nous faire perdre de vue que les institutions régionales mises en place traversent le temps, voire s’étendent et s’approfondissent, et ce tout en s’adaptant aux réalités et aux contraintes de l’époque. Il serait plus juste de parler de superposition et de coexistence de modèles différents. Le projet de communauté économique dans lequel sont engagés les pays de l’ASEAN illustre ceci. Inspiré par le modèle communautaire, il en porte les spécificités, mais en même temps les pays de l’ASEAN multiplient les accords de libre-échange et de partenariat économique tout en participant via celle-ci ou individuellement à de nombreuses grandes négociations commerciales régionales et inter-régionales.
Thématique du numéro
Quelle est la nature de ce régionalisme de troisième génération, quelles en sont les caractéristiques et les formes institutionnelles, et quel en est le contenu ?
N’est-il pas désormais préférable de parler d’inter-régionalisme ou de transrégionalisme plutôt que de régionalisme, et en quoi et comment les nouveaux regroupements viennent-ils changer, renouveler, relancer ou encore, peut-être, affaiblir, la dynamique des accords régionaux existants ?
En quoi les accords économiques et commerciaux en Asie se différencient-ils des accords de libre-échange de deuxième génération, de type ALENA ? En quoi, également, les partenariats Sud-Sud se différencient-ils des partenariats Nord-Sud ?
L’analyse de contenu des partenariats en négociation nous permet-elle de proposer l’ébauche d’un modèle, voire de plusieurs modèles tant ils sont différents des uns des autres ?
Comment les négociations commerciales abordent-elles les nouveaux sujets comme le commerce électronique, la concurrence, la reconnaissance des règles, qualifications et standards, ou encore le développement des capacités par exemple ?
Sommes-nous entrés dans un nouveau modèle de négociation, différent de celui de l’OMC et des accords plus traditionnels ?
Telles sont quelques-unes des questions que nous souhaiterions voir abordées dans ce numéro consacré au régionalisme et aux partenariats économiques à l’heure de l’interconnexion et des chaînes de valeur globales.
Comité de coordination
- Deblock, Christian, Université du Québec à Montréal, Deblock.christian@uqam.ca
- Éric Boulanger, Université du Québec à Montréal, boulanger.eric@uqam.ca
- Mathieu Arès, Université de Sherbrooke, Mathieu.Ares@USherbrooke.ca
Modalités
Veuillez envoyer le résumé de votre proposition (1 page maximum) avant le 1er mars 2015 au comité de coordination du numéro.
Une fois la proposition acceptée (réponse autour du 31 mars), la version complète du texte sera à remettre pour le 1er juillet 2015.
Les textes seront examinés de façon anonyme par deux lecteurs externes (ou trois s’il n’y a pas entente sur l’évaluation). Les articles soumis présenteront des résultats de recherche originaux et des qualités telles que la lisibilité et la pertinence par rapport à la problématique générale du numéro.
Protocole de rédaction
Les articles proposés au Comité de coordination doivent être originaux, ne pas avoir été soumis ailleurs et ne pas avoir été publiés dans une autre langue. Les articles doivent être rédigés en français ou en anglais et ne pas excéder 9 000 mots, notes et bibliographie incluses. Ils devront être accompagnés d’un court résumé d’une dizaine de lignes, en anglais et en français, et de cinq mots clé, en anglais et français également. Ils devront suivre les normes éditoriales de la revue, disponibles à l’adresse suivante : http://interventionseconomiques.revues.org/65
L’auteur fournira les renseignements suivants : son nom, son adresse, son numéro de téléphone, son adresse électronique ainsi que son titre et son établissement de rattachement.
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