Formellement inculpé de génocide et de crimes contre l’humanité depuis le 26 janvier 2012, l’ancien dictateur guatémaltèque, Ríos Montt, va finalement découvrir, le 24 avril prochain, si les barrières de l’impunité ont réellement été percées dans le pays de l’éternel printemps. Le juge Miguel Angel Galvez devrait décider la semaine prochaine s’il enclenche, 30 ans plus tard, un procès à l’endroit de celui qui a été à la tête d’une junte militaire au Guatemala entre 1982 et 1983. Les 16 mois de règne de Ríos Montt correspondent à la période où les atrocités commises pendant la guerre civile guatémaltèque ont atteint leur apothéose. Le procureur accuse notamment l’ancien dictateur d’avoir ordonné une centaine de massacres, tuant ainsi 1771 mayas et causant le déplacement de plus 29 000 personnes. Ces chiffres s’inscrivent dans le triste décompte d’une guerre civile (1960-1996) ayant causé plus de 200 000 victimes dans le pays.
Chronique d’une mort politique annoncée
Assermenté le 14 janvier 2012, le nouveau président guatémaltèque, Otto Pérez Molina, a conclu son discours d’investiture en affirmant : « je rêve que ma génération soit la dernière issue de la guerre ainsi que la première de la période de paix au Guatemala ». À la même date, l’ancien dictateur Montt perdait définitivement son immunité législative au Congrès qui le protégeait des poursuites judiciaires, tant sur le plan national qu’international, depuis plus de 20 ans. Au cours des dernières décennies, ce dernier a tenté plusieurs retours à la présidence par voie démocratique, mais en vain. Depuis quelques années, l’impunité dont ont bénéficié Ríos Montt et d’autres anciens militaires guatémaltèques se heurte aux normes du droit international. Toutefois, la véritable volte-face du gouvernement guatémaltèque sur l’impunité s’est opérationnalisée le 26 janvier dernier. En plus de l’inculpation de génocide et crimes contre l’humanité envers Ríos Montt, le Congrès guatémaltèque approuvait la même journée la ratification du Statut de Rome, permettant finalement l’adhésion du Guatemala à la Cour pénale internationale (CPI). Après 15 ans de violence post-conflit, la justice va-t-elle désormais faire partie du paysage politique guatémaltèque ? Comment expliquer ce changement de cap opéré par le nouveau président guatémaltèque, Otto Pérez Molina, lui-même ancien militaire soupçonné de violations de droits humains et obsédé par la sécurité nationale ?
Le printemps du patriarche : recherche d’appui à l’international
Pour la première fois en octobre 2011, le Guatemala a obtenu un siège au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et ce, pour un mandat de deux ans. Cette position lui permet non seulement d’attirer les regards sur les enjeux prioritaires du nouveau gouvernement, tel que le problème de la lutte contre les narcotrafiquants, mais également d’être vaillamment scruté par les autres membres du Conseil dans ses efforts visant à faire respecter de l’État de droit sur son territoire. Ainsi, les décideurs guatémaltèques doivent conjuguer les impératifs issus du dilemme sécurité et justice. Par ailleurs, dans le but de lutter contre les cartels de drogues mexicains, le Guatemala a récemment exprimé son désir de solliciter l’aide militaire des États-Unis ; cette dernière ayant été suspendue par le Congrès américain en 1978 compte tenu de l’ampleur des violations commises par les militaires guatémaltèques. L’assistance américaine serait donc conditionnelle à l’engagement du Guatemala à respecter les droits humains dans sa lutte contre une criminalité endémique qui sévit toujours.
30 ans de solitude : le sablier se vide
Au-delà de la fin du monde et des récits cosmogoniques mayas, il faut concevoir le procès de Montt comme le résultat d’un ensemble d’initiatives locales et internationales réalisées dans le but de mettre fin à l’impunité. Du rôle novateur de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) depuis 2007 aux récentes condamnations de militaires, les fondations de l’impunité guatémaltèque commencent à craquer. Par ailleurs, c’est l’an dernier au Festival du film de Sundance que la cinéaste américaine Pamela Yates a présenté Granito : How to Nail A Dictator (2011), un documentaire faisant littéralement preuve de prescience. Ce long-métrage mettait initialement de l’avant la tentative de la juridiction espagnole d’exercer sa compétence universelle afin de juger Ríos Montt pour génocide. Cependant, il présente également des entrevues compromettantes avec le dictateur guatémaltèque pendant son règne despotique, dont certains éléments tirés de ce documentaire sont désormais utilisés comme preuves d’accusation par le procureur guatémaltèque. Avec la récente adhésion du Guatemala à la CPI, le nouveau gouvernement cherche à démontrer sa reconnaissance des crimes graves du passé de même que son engagement réel à épouser les normes internationales. Peut-être assistons-nous à un règlement de comptes entre différentes générations de l’armée guatémaltèque ou à une instrumentalisation machiavélique de la justice de la part du nouveau président. Quoiqu’il en soit, l’affaire Ríos Montt représente l’occasion pour le Guatemala de prouver sa volonté politique aux yeux de la communauté internationale et par le fait même, de clore un chapitre sombre de son histoire.
Marc-André Anzueto
Doctorant en science politique et chercheur à la Chaire Nycole-Turmel sur les espaces publics et les innovations politiques de l’UQAM