Bulletin 83
janvier 2007
L’IRAN D’HIER ET DE DEMAIN : ÉMERGENCE OU DÉCADENCE ?
C’est la guerre en Irak qui a permis à l’Iran de se positionner comme une puissance dominante dans la région. C’est aussi la guerre en Irak qui a permis à Téhéran de prendre une position en flèche sur la question palestinienne. C’est encore la guerre en Irak qui permet au président iranien de faire des déclarations vitrioliques à l’égard d’Israël et de sombrer dans le plus parfait négationnisme à propos de l’Holocauste.
TROIS CONFLITS, TROIS PRÉMISSES DIFFÉRENTES
Trois types de conflits ont dominé l’actualité depuis la fin de la guerre froide : le démembrement de l’ex-Yougoslavie qui se perpétue encore aujourd’hui avec la question du Kosovo, la question afghane et le bourbier irakien. Ces trois conflits ont pourtant des origines et des aboutissements différents. L’ex-Yougoslavie a été démembrée parce qu’il s’agissait d’éliminer le dernier bastion du communisme en Europe. Le conflit afghan a eu lieu parce que les États-Unis ont décidé de faire sauter le verrou du terrorisme international encouragé et nourri par les talibans et leur tristement célèbre associé Oussama ben Laden. Ce conflit conserve depuis une forme de légitimité internationale, même si les pays de l’OTAN se font tirer l’oreille pour participer à la reconstruction ou au rétablissement de la sécurité en Afghanistan. Enfin, en Irak, les États-Unis sont seuls ou tout comme. En réalité, il s’agit de la première guerre néocoloniale depuis la fin de la Guerre froide. Avec comme conséquence que ce conflit n’a aucune légitimité internationale.
Le puzzle yougoslave peut tenir ensemble parce que l’UE sert d’élément intégrateur aux morceaux disparates que constituent aujourd’hui les anciennes républiques de l’ex-Yougoslavie. En Afghanistan, il n’y a pas de structure solide à laquelle s’arrimer. Tout au plus existe-t-il une myriade de zones d’influence qui s’étendent des États régionaux, depuis l’Iran et le Pakistan jusqu’aux grandes puissances comme la Russie et les États-Unis, sans oublier les talibans qui ne sont pas loin derrière. Leur retour en force, bien qu’improbable, ne peut se produire qu’avec le soutien actif du Pakistan, ce dont ce pays se défend. La réalité est qu’il est impossible de raccrocher ce pays à quelque chose, car comment départager les influences respectives des seigneurs de la guerre au nord, des barons de la drogue au sud, de la zone ouest sous influence iranienne, et de la zone est et sud-est sous influence pakistanaise et américaine.
En Irak, il existe trois structures stables, les kurdes, les sunnites et les chiites. Il est donc aisé, comme certains esprits le proposent, de céder à la tentation de redécouper la carte du grand Moyen Orient (voir l’article « Les frontières de sang ou faut-il ouvrir le débat d’une nouvelle carte du monde » dans la revue Diplomatie, janvier février 2007). Un Kurdistan élargi au nord, un territoire sunnite dans le centre ouest, et une nation shiite au sud, voilà bien de quoi satisfaire le plus brillant des cerveaux. Pour séduisante que soit une telle hypothèse, personne ne veut d’un redécoupage de la région. Ni la Turquie ni l’Iran ne pourraient acquiescer à la création d’un Kurdistan indépendant. Par ailleurs, Téhéran verrait sans doute d’un très mauvais œil la création au sud d’une république sœur qui pourrait contester sa légitimité. Quant à la zone centrale sunnite, elle devrait se satisfaire de ce que pourraient lui offrir la Syrie ou encore l’Arabie saoudite, c’est-à-dire bien peu.
Et pourtant, comme l’a noté récemment le roi de Jordanie, les résultats les plus probables d’une guerre civile en Irak sont le démembrement de ce pays. Et comme le rapellait l’ancien ambassadeur américain John Bolton dans une interview accordée au journal Le Monde (29 janvier 2007), « qu’il y ait un État ou trois États irakiens ne relève pas de notre intérêt stratégique ». Néanmoins, la communauté internationale assisterait à une répétition à la yougoslave de nettoyages ethniques dans les régions chiites et sunnites, et entre les kurdes et les arabes irakiens dans le nord de l’Irak. Un tel chaos déstabiliserait la situation sur une base régionale et pourrait mener les puissances frontalières à intervenir dans le conflit. Avec comme résultat l’approfondissement de la césure qui oppose les sunnites et les chiites au sein du monde musulman. Sans parler de ce qui pourrait se passer au Liban ou ailleurs au sein des territoires occupés par Israël.
LE DÉPLACEMENT DES PRIORITÉS AMÉRICAINES
Depuis plusieurs mois déjà, les États-Unis ont déplacé leurs priorités vers l’endiguement ou le « containment » de l’Iran. On s’interroge sur les 150 officiers de renseignement iraniens présents sur sol irakien (Washington Post, 26 janvier 2007). À Erbil, les États-Unis ont arrêté puis relâché une demi-douzaine d’agents iraniens soupçonnés d’apporter leur soutien (argent, armes, munitions et base d’entraînement dans la province de Diyala) aux milices chiites. Et selon le directeur de la CIA, le général Michael V. Hayden, cet appui n’a fait qu’augmenter au cours des années récentes. Depuis l’automne 2006, les autorités militaires sont autorisées à frapper ces cibles en vertu d’un programme antiterroriste qui s’applique non seulement à l’Irak mais aussi au Hezbollah et au Hamas ainsi qu’aux éléments chiites radicaux opérant dans l’ouest de l’Afghanistan. Pour ce qui est de l’Irak, le mot d’ordre est simple : le conflit ne doit pas s’étendre à l’Iran, seules les cibles opérant en Irak seront attaquées. L’ancienne stratégie américaine a donc évolué ; il ne s’agit plus de « coffrer » puis de « relâcher » (catch and release) les agents responsables, mais bel et bien de les « tuer ou de les capturer » (kill or capture). Il n’est pas sûr que cette stratégie sera plus efficace que l’ancienne, mais l’objectif est clair : faire payer à l’Iran le coût de ses ingérences. Comme la plupart des opérations clandestines iraniennes relèvent du Commandement du Corps des gardes révolutionnaires, reste à savoir si les opérations iraniennes en Irak ont l’appui ou non de l’ayatollah Ali Hoseini-Khamenei.
D’autres changements importants se dessinent à l’horizon. Lors de la crise en Somalie, le porte-avions Eisenhower a été envoyé dans l’océan Indien, mais un second groupe de combat naval, sous la houlette du USS John C. Stennis, vient d’être envoyé dans la région du Golfe, ajoutant 5 000 marines aux 11 000 déjà existant. Et pour la première fois depuis la guerre d’Irak, un officier supérieur de la Marine, l’amiral William Fallon, aussi un expert de la guerre aérienne, est devenu commandant du Commandement central responsable des opérations militaires dans la région. Par ailleurs, le président Bush dans son message sur l’état de l’Union a décidé d’augmenter de 21 500 hommes le nombre de soldats déployés en Irak, le gros des forces supplémentaires devant être stationné dans la région de Bagdad. L’objectif américain, comme l’a décrit il y a plus d’un an le spécialiste Andrew F. Krepinevich Jr dans la revue Foreign Affairs (septembre/octobre 2005), c’est de mettre en œuvre une stratégie de la « tache d’huile », c’est-à-dire stabiliser Bagdad et progressivement étendre la couverture de protection aux régions attenantes. Selon une dépêche de la chaîne CNN en date du 13 janvier, une brigade kurde composée de 3 000 hommes pourrait bientôt prêter mains fortes aux troupes irakiennes déployées dans la capitale. L’hebdomadaire américain Time pose la bonne question : s’agit-il de mieux préparer le départ de la Maison-Blanche du président Bush en 2008 ou d’une flamme qui se consume avec un dernier sursaut d’énergie avant de s’éteindre, c’est-à-dire avant le retrait par étapes des troupes américaines d’Irak ?
Outre que rien ne garantit qu’une telle stratégie sera plus efficace que les précédentes, même si elle est accompagnée d’une substantielle promesse d’aide à la reconstruction que le Congrès américain est peu susceptible d’accorder de toute façon, l’objectif est d’éviter que l’Iran ne devienne la puissance hégémonique dominante de la région. Selon les mots mêmes de l’ambassadeur des États-Unis en Irak, Zalmay Khalilzad, ce que recherche l’Iran, c’est de « maintenir l’Irak dans un état de préoccupation ». La secrétaire d’État Condoleezza Rice est aussi formelle : nous devons contrarier les « comportements déstabilisants » de l’Iran. Même son de cloche chez Stephen Hadley, principal conseiller sur les questions de sécurité internationale : nous devons« résister aux ambitions d’une puissance régionale hostile ».
Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres et il est difficile de comprendre comment un conflit impopulaire pourra être transformé en une lutte mieux soutenue par le Congrès américain, tout simplement en changeant le nom du destinataire ennemi. L’opinion publique américaine, il est vrai, est peu courtoise à l’égard du président Ahmedinejad. Il est cependant trop facile d’en faire un bouc émissaire pour expliquer les difficultés américaines dans la région.
L’IRAN : ÉMERGENCE OU DÉCADENCE D’UNE PUISSANCE RÉGIONALE
Mais l’Iran est-il vraiment le nouvel ennemi des États-Unis ? Les chiites irakiens du Sud lors de la guerre irano-irakienne (1980-1988) n’ont-ils pas farouchement combattu l’Iran, soutiennent les défenseurs d’un retrait des troupes américaines d’Irak ? Pour quelles raisons un Irak « libéré » deviendrait-il un indéfectible allié de l’Iran ? Et qui peut légitimement prétendre que l’Iran est une puissance qui rêve d’en découdre avec l’Amérique, en dépit du fait qu’aucun incident sérieux, hormis le tragique accident d’un avion d’Iran Air abattu par erreur en 1988, n’est intervenu entre ces deux puissances depuis la prise d’otages américains en 1979 ?
Une explication partielle peut être trouvée dans l’appui que vient d’obtenir la secrétaire d’État Rice lors de la réunion à la mi-janvier du groupe dit des « 6 + 2 », c’est-à-dire les 6 monarchies pétrolières du golfe, ainsi que l’Égypte et la Jordanie. Même s’il n’est pas nommé, l’Iran reste le principal État visé par l’appel lancé à « la non-ingérence dans les affaires intérieures irakiennes ». En réalité, le vieux clivage séculaire entre les chiites et les sunnites s’approfondira davantage si la situation interne en Irak devait tourner au désastre. L’Arabie saoudite a une longue frontière avec l’Irak et c’est au coût d’une dizaine de milliards de dollars qu’elle entend construire au cours des 6 prochaines années une barrière de sécurité à ses frontières avec l’Irak. La menace est sourde et persistante : que deviendront dans l’avenir tous ces terroristes formés en Irak ? Un spécialiste des questions de sécurité, consultant auprès du royaume saoudien, Nawaf Obaid, n’écrivait-il pas dans le Washington Post du 29 novembre 2006 que « si les États-Unis sont allés en Irak sans y être invités, ils ne devraient pas non plus s’en retirer sans y être invités » ? Autrement dit, un retrait brutal des troupes américaines pourrait entraîner un soutien accru des Saoudiens à leurs frères sunnites, voire l’établissement de brigades sunnites formées et financées par l’Arabie saoudite ! Ce spécialiste a depuis été viré par l’Arabie saoudite, non pas parce qu’il s’était permis de dire ce que les autres pensaient tout bas, mais parce qu’il avait ajouté que l’Arabie saoudite pourrait mettre l’Iran à genoux en produisant davantage de pétrole. Et conséquemment faire chuter le prix du baril, ce qui priverait l’Iran des dollars nécessaires au fonctionnement de son économie. Ce scénario est d’ailleurs repris en termes à peine voilés par d’autres grands quotidiens.
L’ARME DU PÉTROLE
L’Iran est certes un pays gazier et pétrolier, mais il ne contrôle pas l’arme du pétrole. En 2005, sa part dans la production mondiale de pétrole s’établissait à 5,1 % et, pour ce qui est du gaz naturel, à 3,1 % . Dans la même année, la part de l’Arabie saoudite dans la production mondiale de pétrole était de 13,5 % et celle de la Fédération de Russie de 12,1 %. En matière de gaz naturel, la Fédération de Russie a produit en 2005 le cinquième de la production mondiale, alors que l’Iran doit importer du gaz du Turkménistan pour pourvoir à ses propres besoins. Même le Canada produit deux fois plus (6,7 %) de gaz naturel que l’Iran et un peu moins que le cinquième de sa production pétrolière. L’Iran importe 40 % de son essence au coût de 3 à 4 milliards de dollars par année. Ses raffineries ne suffisent pas à la tâche, ses installations pétrolières sont désuètes et en état de décrépitude avancée, et la grande société nationale, la National Iranian Oil Company (NIOC) n’a jamais réussi à développer, seule, quelque grand projet d’envergure que ce soit, faute de disposer de la technologie et des ressources nécessaires pour se mesurer aux grandes multinationales.
Enfin, selon un chercheur de l’Université de John Hopkins, Roger Stern (International Herald Tribune, 8 janvier 2007), les exportations pétrolières de l’Iran pourraient diminuer de 10 à 12 % par année pour tomber à zéro d’ici 2015. Ce qui expliquerait son désir subit de développer ses centrales nucléaires afin de libérer le gaz et le pétrole aujourd’hui utilisés à des fins de production électrique. Cette dépêche du IHT (International Herald Tribune) a été reprise le même jour dans le très sérieux Oil&Gas Journal. L’Iran tire aujourd’hui de 70 à 80 % de ses revenus de ses exportations pétrogazières. Ses exportations stagnent depuis 1996 et la demande iranienne intérieure enregistre un taux de croissance de 6,4 % par année, alors que le taux d’épuisement ou de « déplétion » de ses gisements est évalué à 10 % par année. Ou bien l’Iran est un tigre de papier ou bien son pouvoir pétrogazier est largement surestimé.
LA BOMBE IRANIENNE
Personne n’est en mesure de dire quand et si l’Iran aura la bombe. La plupart des experts sont divisés en la matière. La question n’est pas de savoir si, mais à quel moment il le fera. Pour l’expert américain Anthony H. Cordesman, l’Iran est à 10 ans d’obtenir la bombe. D’autres ramènent ce laps de temps à 2 ou 5 ans. Ce qui pose la question de savoir ce qu’il faut faire avec un pays qui s’en remet à des foucades passagères ou intermittentes appelant à la destruction d’Israël !
La réponse est simple. Il ne faut rien faire qui puisse provoquer Téhéran. Il faut poursuivre le dialogue et maintenir une position de fermeté, tout comme le demande Mohamed ElBaradei, le directeur de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). D’après ce dernier, une intervention américaine contre l’Iran serait « catastrophique ». C’est aller un peu loin, car elle reste techniquement possible, mais peu plausible. Les États-Unis, voire Israël, ont les moyens de répéter l’exploit d’Osirak en 1981 (la destruction du réacteur irakien par les forces aériennes israéliennes). Un officier de l’air américain aurait déjà identifié plus de 400 cibles dont au moins 75 devraient être détruites grâce à des munitions à pénétration profonde dites « bunker busters ». (Voir CRS Report to Congress, « Iran : U.S. Concerns and Policy Responses », mis à jour, 5 janvier 2007, p. 34) On pourrait de la sorte retarder le développement d’une bombe nucléaire iranienne, mais le tout se traduirait par une condamnation universelle d’un tel geste et par une recrudescence de la violence antiterroriste. Sans parler des ressentiments de colère iranienne qui subsisteraient durant des décennies. Et des graves bouleversements internes qu’une telle opération pourrait provoquer au sein de pays musulmans alliés des États-Unis, tels la Turquie et le Pakistan.
Deux constats peuvent être tirés de la bêtise irakienne. Les États-Unis ont le pouvoir de faire mal et de frapper là où ils le veulent, mais ils n’ont plus la possibilité de faire évoluer les choses. Le monde a changé et le plus cynique des hommes politiques ne peut faire passer un boa pour une couleuvre. Les fondements idéologiques de la guerre en Irak ont été fabriqués de toutes pièces. La leçon la plus évidente du retrait certain des États-Unis en Irak est que le terrorisme est payant et gagnant. Washington devra en faire son deuil… en attendant qu’une importante restructuration des forces régionales au Moyen Orient ne mène à une « paix des braves », les combattants abandonnant la lutte par lassitude.
Washington n’a donc pas intérêt à tomber dans le piège que lui tend l’Iran. Ce pays sera tôt ou tard dominé par la Russie, et peut-être aussi en partie par la Chine pour des raisons énergétiques. L’Iran basculera alors d’un impérialisme à l’autre. On comprend mieux dans ces conditions pourquoi les États-Unis se sont vertement opposés à la visite du ministre Douste-Blazy en Iran…
DES SANCTIONS ÉDULCORÉES
Dans un article du 16 janvier publié dans le journal Le monde, Daniel Vernet titrait « L’Iran, trois fois l’Iran ». Une fois pour contrer les visées iraniennes en Irak, une deuxième fois pour punir Téhéran s’il s’avisait de multiplier ses appuis aux groupements terroristes, et une troisième fois pour l’empêcher d’obtenir la bombe. Et l’auteur de conclure : « les Occidentaux ont été contraints de vider les sanctions de toute signification » pour répondre aux exigences de la Chine et de la Russie au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Les Européens ont cherché à éviter l’alternative « les bombardements américains ou la bombe iranienne », poursuit l’auteur. Et ce dernier de conclure : « Le plus probable, ce sont et les bombardements et la bombe. » Ça reste à voir.
Un rapport du Congrès américain sur la Loi ILSA (Iranian and Libyan Sanctions Act ; loi votée en 1996 par l’administration Clinton et prorogée par le président Bush jusqu’au 31 décembre 2011 pour ce qui est de l’Iran) démontre le peu d’efficacité de sanctions peu ou mal ciblées. Aucune société américaine n’a été condamnée pour violation de cette loi. En réalité, il y a eu des dérogations successives apportées aux principaux dispositifs de cet instrument juridique jusqu’à concurrence de plus de 11 milliards de dollars depuis son entrée en vigueur. Et dans l’ensemble, plus de 30 milliards de dollars ont été investis en Iran surtout dans le secteur énergétique. Sur quinze ans, « 20 à 25 milliards d’euros auraient été investis en Iran par des multinationales françaises » (Le Monde, 2 novembre 2006). La résolution 1737 de l’ONU a tenté de corriger les effets pervers de sanctions mal appliquées en identifiant une série de sociétés et de responsables iraniens susceptibles d’être visés par les parties contraignantes de la résolution (voir encart).
Mais voilà, les États-Unis veulent aller plus loin en matière de sanctions et cherchent à mettre sur pied une « coalition des volontaires » autour de la France et de la Grande-Bretagne, petit cercle qui pourrait être élargi par la suite pour englober d’autres pays alliés. L’objectif visé est de mieux contrôler les flux financiers banquiers vers l’Iran (en particullier les banques Melli, Sepah et Saderat). La France, pour une, s’oppose à cette démarche qu’elle juge inutile et hors normes. L’Iran a soixante jours pour se conformer au texte de la résolution 1737, ce qui signifie qu’à la fin de février 2007, une autre résolution plus contraignante pourrait suivre. Il est probable que la Russie et la Chine s’y opposeront et qu’à nouveau les États-Unis se retrouveront seuls face à des alliés qui n’envisagent pas de court-circuiter l’ONU.
Un rapport parlementaire iranien interne semble toutefois indiquer que les sanctions inquiètent beaucoup Téhéran qui s’interroge sur la voie à suivre avec les Occidentaux (Le Monde, 20 janvier 2007). Des divergences semblent s’installer entre la présidence et le bureau du Guide suprême de l’Iran. Les conservateurs paraissent aussi divisés sur le sujet. Par ailleurs, des progrès ont été enregistrés avec la Corée du Nord dans le cadre d’un dialogue bilatéral entre les États-Unis et Pyongyang. Le directeur de l’AIEI, Mohamed ElBaradei, suggère à Washington de suivre le même processus avec l’Iran. La chose paraît improbable tant et aussi longtemps que les Républicains resteront au pouvoir, d’autant que plusieurs pays arabes paraissent s’opposer à ce dialogue. Toutefois, des sénateurs démocrates américains se sont déjà prononcés en faveur de l’ouverture de pourparlers directs avec Téhéran. En outre, la secrétaire d’État Rice semble favorable à des contacts directs en échange de la suspension par Téhéran de son programme d’enrichissement de l’uranium.
LE CHANGEMENT EN IRAN NE PEUT VENIR QUE DE L’INTÉRIEUR
L’obsession américaine à l’endroit de l’Iran n’est-elle qu’un transfert d’images d’identification à un ennemi créé de toutes pièces ? Lors de son voyage à Paris à l’automne dernier (Voir Le Monde, 28 septembre 2006), l’ancien ayatollah Mohammad Khatami n’a-t-il pas déclaré que les États-Unis avaient débarrassé l’Iran de ses deux principaux ennemis : Saddam Hussein et les talibans ? Nous n’en sommes pas à un paradoxe près avec la situation en Irak. La guerre d’Irak n’a été gagnée ni par les États-Unis ni par le peuple irakien, mais bel et bien par l’Iran. Ce pays peut aujourd’hui pavaner. Pour un temps encore, car il est soumis à d’incroyables tensions intérieures, à une jeunesse désœuvrée, et à un taux d’inflation important. Or, sur toutes ces questions, des fissures importantes se font jour au sein du gouvernement iranien. Le président Ahmedinejad est aujourd’hui accusé d’« aventurisme », tout comme Khrouchtchev l’a été lors de la crise de Cuba. Sa destitution a suivi de peu son aventurisme… En dépit de la popularité d’un président iranien populiste et nationaliste, il n’est pas dit qu’aux prochaines élections, le peuple iranien votera les yeux fermés.