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L’OEA sous José Miguel Insulza : une décennie d’inertie ?

Chronique du CEI


CHRONIQUE
L’OEA sous José Miguel Insulza : une décennie d’inertie ?
Par Mamadou Lamine Sarr*
Le 18 mars dernier, l’ancien ministre uruguayen des Affaires étrangères, Luis Almagro, a succédé à José Miguel Insulza au poste de secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA). Élu en 2005 puis réélu en 2010, M. Insulza n’a pas réussi à faire de l’organisation continentale un acteur incontournable dans l’hémisphère. En raison notamment de son manque de leadership et de la polarisation croissante entre les États du continent, José Miguel Insulza n’a pas pu donner une réelle impulsion à l’OEA afin de sortir l’organisation de l’inertie dont elle est souvent accusée. Comme ses prédécesseurs, M. Insulza n’a pas toujours reçu le soutien nécessaire de la part des États membres et c’est un problème que pourrait bien rencontrer Luis Almagro.
Un déficit de leadership
La succession de José Miguel Insulza n’a pas été marquée par une bataille politique entre candidats ou entre pays. En effet, après le retrait de l’ancien ministre péruvien des Affaires étrangères, García Sayan, et celui de l’ancien vice-président du Guatemala, Eduardo Stein, Luis Almagro était le seul candidat en lice pour devenir secrétaire général de l’OEA. Cette situation illustre parfaitement toute la réticence des responsables politiques de la région à s’engager durablement dans l’organisation hémisphérique. Diriger une entité comme l’OEA n’est pas chose aisée et M. Insulza peut en témoigner. Après une décennie à la barre de l’organisation, cet ancien ministre de l’Intérieur du Chili n’a pas réussi à faire de l’OEA un acteur particulièrement présent et efficace dans les Amériques. À titre d’exemple, l’OEA n’a pas joué un rôle prépondérant dans les négociations de paix en Colombie. Alors que le Venezuela, Cuba et la Norvège ont été des facilitateurs du dialogue entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), M. Insulza n’a pas réussi à pleinement impliquer l’OEA dans la résolution du plus vieux conflit armé des Amériques. C’est également le cas dans le dossier des récents efforts de rapprochement entre Cuba et les États-Unis. Sur ce dossier aussi, José Miguel Insulza n’a pas su incarner l’image d’un médiateur engagé et il s’est même vu ravir la vedette par le Vatican, qui a facilité le dialogue entre La Havane et Washington, malgré le fait que ce soit sous son mandat que l’exclusion de Cuba de l’OEA a été levée, en juin 2009. Finalement, le même constat d’inertie peut être fait quand l’OEA se limite à émettre des condamnations ou des appels au calme lorsque surviennent des crises politiques et sociales dans les Amériques.
Toutefois, cette relative inertie de la seule organisation regroupant tous les pays des Amériques ne peut évidemment pas s’expliquer uniquement par le manque de leadership de son secrétaire général. À sa décharge, José Miguel Insulza a également dû composer avec toute la complexité de l’OEA, qui est constituée d’États aux idéologies et aux intérêts difficilement conciliables.
Une polarisation toujours marquée
La fin de la guerre froide n’a pas totalement enterré les différends politiques et idéologiques entre les différents pays de l’hémisphère américain. En effet, les Amériques donnent l’image d’un continent scindé en deux avec d’une part les États-Unis et le Canada et d’autre part le reste du continent. Cette polarisation idéologique s’illustre très bien par les tensions fréquentes entre les États-Unis et des pays comme le Venezuela ou la Bolivie, notamment sur des questions relatives à la démocratie, à la gouvernance et aux droits humains. L’OEA n’a pas échappé à cette polarisation, qui a constitué une entrave à son action durant la dernière décennie. Pour preuve, la Convention interaméricaine des droits de l’homme, qui constitue le principal traité du système interaméricain des droits de l’homme, n’est en vigueur que dans 22 des 34 pays États membres de l’OEA, alors que le Canada et les États-Unis ne l’ont pas ratifiée et que le Venezuela s’est retiré en septembre 2013. Une telle situation constitue donc un véritable obstacle aux efforts effectués par l’OEA en matière de protection des droits de l’homme.
La polarisation se retrouve aussi dans un autre important enjeu pour les Amériques, à savoir la lutte contre le narcotrafic. Dans un rapport sur la problématique des drogues dans les Amériques paru en 2013, l’OEA, par la voix de son secrétaire général, a appelé les pays membres à réfléchir sur une politique de légalisation pour lutter contre le narcotrafic face à l’échec de la politique de répression. Si les États-Unis rejettent catégoriquement cette possibilité, de plus en plus de voix s’élèvent en Amérique latine pour que le débat sur la légalisation de certaines drogues soit ouvert. Des pays comme le Guatemala, la Colombie et même le Mexique se sont prononcés en faveur de solutions alternatives dans la lutte contre le narcotrafic. En 2014, l’Uruguay a légalisé la consommation et la production de marijuana alors qu’en février dernier, la Jamaïque a dépénalisé la consommation de marijuana en petite quantité. Tout ceci montre donc les différences de perceptions des États dans la lutte contre le trafic de drogues et ceci a évidemment des répercussions sur leur coopération au sein de l’OEA.
Durant son mandat, M. Insulza a également dû composer avec la naissance d’autres organisations qui apparaissent comme des concurrentes de l’OEA. La création de la Communauté des États latino-américains et caribéens en 2011, celle de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) en 2008 ou de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) en 2005, a contribué à la baisse de l’influence de l’OEA dans l’hémisphère. L’Unasur s’est notamment plus impliquée que l’OEA dans la crise institutionnelle au Paraguay en 2012 ainsi que dans l’actuelle crise vénézuélienne. Le lancement de ces organisations représente pour certains pays une forme de contestation de l’influence de Washington en Amérique latine et au sein de l’OEA, de même qu’une affirmation de leur volonté de ne plus être des acteurs de second plan. C’est notamment le cas du Venezuela avec l’ALBA et du Brésil avec l’Unasur.
En définitive, si l’on peut reprocher un certain manque de leadership et de charisme à José Miguel Insulza, qui n’a pas su donner à l’OEA le dynamisme dont elle avait besoin, on ne peut cependant ignorer les difficultés auxquelles il a dû faire face durant ses deux mandats. Toutefois, le continent américain pourrait difficilement se passer d’une organisation comme l’OEA, au vu des nombreux enjeux auxquels il est confronté. Qu’il soit question de démocratie, de sécurité, de développement, d’inégalités ou de lutte contre narcotrafic, ces enjeux nécessitent un plus grand cadre coopératif que n’offrent l’ALBA et l’Unasur – qui sont des organisations sous-régionales – ou la Celac, qui reste encore faiblement institutionnalisée. En plus des réformes internes qu’il voudra apporter, Luis Almagro devra redonner une crédibilité à l’OEA même si en fin de compte, comme toute organisation interétatique, l’OEA sera ce que les États membres voudront bien qu’elle soit.

Mamadou Lamine Sarr – Candidat au doctorat en science politique et auxiliaire de recherche au Centre d’études interaméricaines

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