Introduction
Comme l’affirme José Nun , le chœur se rebelle désormais. Ces dernières décennies, les femmes latino-américaines envahissent tous les lieux publics : les villes, les rues, les places, etc. Après avoir été confinées dans l’espace privé et invisibilisées, les femmes exigent d’être écoutées et surtout entendues ; elles passent « del silencio a la palabra » pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Maritza Villavicencio sur les femmes péruviennes aux XIXe et XXe siècles. En Amérique latine, ces nouveaux mouvements soulèvent de nouveaux problèmes, en remettant en cause les vieilles traditions, les us et coutumes des sociétés, les problèmes ancestraux et en développant de nouvelles pratiques sociales.
Les femmes latino-américaines ne forment cependant pas un groupe homogène puisque, aux dires d’Enrique Yepes dans un article intitulé « Las mujeres latinoamericanas en la búsqueda de transformaciones sociopolíticas » , leurs luttes sont autant liées à leur genre, leur diversité ethnique, culturelle et de classe sociale qu’à la géographie diverse du continent. Ainsi, autour de ces marqueurs identitaires, les enjeux principaux de la lutte seraient la recherche de l’estime de soi et de la dignité. L’hétérogénéité de cette « rébellion » réside également dans les stratégies de luttes. Sont bien connues les femmes qui ont choisi leur rôle traditionnel et privé de Mère pour faire irruption dans l’espace public ; c’est le cas des Mères de la Place de Mai en Argentine, des Mères contre le service militaire dans les pays du Cône Sud ou encore des Mères contre le Paco en Argentine, etc. D’autres, par contre, ont fait le choix du genre féminin pour dénoncer la société et les inégalités sociales ; c’est le cas du mouvement « la marche des salopes » qui fait par ailleurs perdurer un des symboles de la lutte des femmes en Amérique latine : la marche. Parlerait-on alors de « mouvement social sexué » comme le suggérait Danièle Kergoat au début des années 1990 ?
Toutefois, le mouvement social en soi apporte une certaine cohésion du fait notamment que des individus – puisque, dans les mouvements de femmes, nous retrouvons bien souvent des hommes en faveur de l’égalité – se regroupent dans un même système d’action, c’est-à-dire qu’ils poursuivent des objectifs communs, partagent des symboles, voire l’affirmation d’une identité et circulent dans un espace militant partagé .
Depuis avril 2011, une nouvelle forme de protestations sociales émerge conjointement dans presque tous les pays du monde, en réponse aux propos du policier canadien Michael Sanguinetti qui, lors d’une conférence sur la sécurité civile à l’Université York au Canada le 24 janvier 2011, affirma « women should avoid dressing like sluts in order not to be victimized », en d’autres termes, les femmes doivent s’habiller de manière moins provocante, si elles ne veulent pas être victimes de violences physiques et/ou sexuelles. Cette phrase fut l’étincelle qui embrasa le monde et donna le jour à un symbole revendiquant le droit des femmes, la « SlutWalk ». Et les excuses publiques du policier Sanguinetti n’y changeront rien. Heather Jarris, Sorya JF Barnett, rejointes par Alyssa Trekah du groupe Feminist Action de l’Université York, créent le collectif SlutWalk Toronto, loin de se douter de l’impact que leur action allait avoir dans le monde. Le Canada a ouvert la boite de Pandore et provoqué un véritable « effet papillon » : de l’Amérique du Nord à l’Asie, en passant par l’Amérique du Sud, l’Europe et l’Afrique. « Slutwalk », « Marcha de las Putas », « Marcha das Vadias », « Marcha das Vagabundas », « Marche des Salopes » ; seul l’appellation change, pas la cause. Plus de 250 villes dans le monde ont, depuis, organisé des marches similaires.
Analysons alors ce mouvement international appelé en français « la Marche des Salopes » et en castillan « la Marcha de las Putas » : comment définir cette marche, ses codes et ses objectifs ? Comment l’Amérique latine s’est-elle appropriée cette nouvelle protestation sociale ?