Avec dix présidents en une décennie, dont les trois derniers évincés par des manifestations antigouvernementales, l’Équateur n’est pas reconnu comme l’État le plus stable d’Amérique latine. Entré en fonction le 15 janvier 2007 sous la bannière de la coalition nationale Alianza País, le président Rafael Correa a été réélu au premier tour en avril 2009 en réussissant à se forger une solide légitimité. Le 30 septembre dernier, à Quito et dans d’autres villes de l’Équateur, plus d’un millier de policiers se soulevèrent afin de protester contre la mise en place d’une nouvelle loi du gouvernement. Cette loi de service public limitait ou supprimait toute une série de primes et de gratifications allant de pair avec les promotions. Se rendant sur les lieux des protestations le matin du 30 septembre afin de s’adresser aux policiers rebelles, le président Correa, après avoir refusé de changer la nouvelle loi, fut attaqué, blessé et amené dans un hôpital où il fut gardé prisonnier. En appui à Correa, des milliers de personnes descendirent dans les rues de la capitale. En soirée, une intervention de l’armée, restée fidèle au gouvernement en place, libéra finalement Correa, ce dernier s’empressant de s’adresser à la nation en qualifiant le soulèvement de tentative de coup d’État perpétré par des forces fidèles à son ennemi politique, l’ancien président renversé, Lucio Guetiérez.
De l’immense foule venue en appui à Correa, on remarquait un absent important : la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (CONAIE). Cette dernière, ayant contribué à l’élection de Correa, est aujourd’hui l’un de ses plus ardents détracteurs. Si la CONAIE dénonça la tentative de coup des policiers, elle s’empressa aussi d’effectuer une critique extensive des politiques de Correa. Comme elle le soulignait, « [c]onfronté aux critiques et aux mobilisations de groupes et de communautés contre les compagnies transnationales minières, pétrolières et agro-industrielles, le gouvernement, au lieu de favoriser le dialogue, a répondu avec la violence et la répression. L’unique résultat qu’une telle politique provoque est d’ouvrir un espace aux forces de droite permettant de créer un climat de déstabilisation » (Danlg, 2010).
Afin d’éclairer les évènements du 30 septembre 2010, notamment la question à savoir s’il y a bel et bien eu une tentative de coup d’État fomenté par des forces de droite, et de saisir les dynamiques actuelles entre les mouvements autochtones et le gouvernement Correa, la Chaire Nycole Turmel met à votre disposition les liens ci-dessous.
Gabriel L’Écuyer
Assistant de recherche à la Chaire Nycole Turmel
1) « Le gouvernement de Correa et le mouvement autochtone : de l’alliance à la rupture », une entrevue avec Jorge Leon donnée à la Chaire Nycole Turmel en novembre 2010.
Dans cette entrevue, Jorge Leon effectue d’abord un retour sur les origines historiques de l’alliance entre le parti de Rafael Correa et le mouvement autochtone équatorien, plus particulièrement la CONAIE. Il traite par la suite des éléments qui ont causé la rupture de l’alliance, notamment le conflit sur les ressources naturelles (pétrolifères et minières) de la région amazonienne, la vision d’un État centralisateur de Correa, sa « révolution citoyenne » qui ne favorise pas la participation démocratique de la base et, enfin, l’attitude confrontationelle et dégradante de Correa à l’égard des groupes et individus qui le critiquent.
2) Guillermo Almeyra, « Sobre el cuasi golpe ecuatoriano », La Jornada Quincenal, octobre 2010.
Almeyra rejette l’appellation « coup d’État » du fait que les forces mobilisées contre la « loi de service public » du gouvernement Correa n’étaient pas organisées politiquement et ne constituaient pas en soi, malgré une tentative de récupération par la droite, une alternative au pouvoir actuel. Montrant les faiblesses du décisionnisme vertical de Correa, Almeyra poursuit en soulignant que si ce dernier veut éviter une réelle tentative de coup d’État, il doit retrouver une base d’entente avec son ancien allier autochtone, la CONAIE, qui n’est pas sans reproche selon lui.
3) Maurice Lemoine, « État d’exception en Équateur », Le Monde diplomatique, 1er octobre 2010.
L’auteur revient dans les détails sur les évènements du 30 septembre 2010. Sans prendre position sur le nom à donner à ces évènements (coup de chaleur, coup d’État, coup d’essai), l’auteur en profite pour critiquer l’aventurisme des dirigeants autochtones liés au parti Pachakutik, très proche historiquement de la CONAIE. De plus, pour Lemoine, ces évènements sont à lier avec les diverses tentatives de déstabilisation qu’ont connues les autres pays de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA).
4) Deux entrevues de Marta Harnecker, sociologue, journaliste et militante chilienne
a) « Gobierno de Correa y movimento indígena », une entrevue de Marta Harnecker avec Osvaldo León, Ricardo Patiño, Alberto Acosta, Daniel Suárez, Miguel Lluco Y Ricardo Carrillo, 12 octobre 2010.
Regroupant plusieurs témoignages d’acteurs équatoriens importants, cetteentrevue collective regroupe plusieurs points de vue contradictoires sur les relations entre le gouvernement Correa et les organisations autochtones, notamment Pachakutik, afin de comprendre pourquoi le 30 septembre dernier, cette dernière appela au renversement de Correa.
b) « Las complejas relaciones del gobierno de Correa con los movimientos sociales », une entrevue de Marta Harnecker avec Miguel Carvajal, 13 novembre 2010.
Dans cette entrevue, faisant suite à la précédente, le ministre de la Sécurité de l’Équateur et membre de la direction nationale de la coalition Alianza País aborde tour à tour les liens du gouvernement avec les mouvements autochtones, étudiants, professoraux et écologistes. Pour une critique virulente du projet d’Alianza País, que son auteur nomme « l’utopie réactionnaire » d’une classe moyenne pratiquant un capitalisme d’État, voir Leonardo Ogaz A., « Manifiesto ideológico de Alianza País », ALAI, 20 janvier 2011.
5) William Sacher, « Équateur : coup d’État ou pas, le soulèvement policier sanctionnerait l’intransigeance de Rafael Correa », Le journal des Alternatives, 8 octobre 2010.
Comme plusieurs observateurs, Sacher se pose la question suivante : « Peut-on parler de tentative de Coup d’État en Équateur » ? Pour Sacher, « (...) c’est vraisemblablement la conjonction de l’intransigeance habituelle du gouvernement face à des troupes policières au sein desquelles évoluent des éléments réactionnaires mais désorganisés qui a conduit à la situation critique qu’a connue le pays durant la journée du 30 septembre ». Sacher montre aussi que certains groupes opportunistes ont cherché à fragiliser le gouvernement en utilisant la démonstration spontanée des policiers. À ce titre, il souligne l’implication du parti Pachakutik, qu’il qualifie de « parti de l’élite autochtone de droite » qui s’est distancé de la CONAIE, qui a pour sa part condamné le soulèvement tout en critiquant les politiques implantées par le gouvernement Correa.
6) Ecuador : Failed Coup or Institutional Crisis ?, un film de l’équatorien Oscar León, octobre 2010,
Dans cette première partie, Oscar León effectue une remise en contexte historique de la société équatorienne afin de comprendre les évènements de septembre dernier. Il souligne la politisation de la société équatorienne, la fréquence des coups d’État ainsi que l’importance géopolitique de l’Équateur, notamment en ce qui concerne les ressources naturelles.
Dans cette seconde partie, Oscar León enquête directement sur les évènements du 30 septembre 2010, en se demandant s’ils doivent être considérés comme une crise interne ou une tentative de déstabilisation externe. Favorable à Correa, il laisse tout de même une certaine place à la critique de gauche.
7) Site Internet de la CONAIE, une organisation nationale existant depuis 1986 qui regroupe plusieurs ethnies, peuples, communautés, centres et associations autochtones qui défendent une conception plurinationale et anticapitaliste de l’État équatorien. Pour la position de la CONAIE suite au Coup d’État, voir ici.
Depuis 1995, la CONAIE s’est dotée d’un bras politique, le parti Pachakutik.
8) Crude, 2009, un documentaire de Joe Balinger.
Crude relate les combats des communautés autochtones de l’Amazonie équatorienne contre les compagnies pétrolières. Mettant en relief les impacts écologiques et humains des actions de Texaco (Chevron), ce documentaire aide à comprendre pourquoi plusieurs communautés autochtones refusent catégoriquement toute exploration pétrolière et gazière dans l’Amazonie.
9) Marc Molitor, « Soutenu dans le monde, Rafael Correa est-il affaibli chez lui ? », RTBF Info, 1er octobre 2010.
Molitor montre que si la situation de Correa sur la scène internationale a été renforcée par le récent soulèvement, ses appuis au niveau national sont quant à eux plus fragiles. On retrouve aussi sur ce lien une entrevue de Marc Molitor avec François Houtard, directeur du Centre tricontinental (CETRI). Pour Houtard, le soulèvement des policiers fut d’abord spontané, mais il a ensuite été instrumentalisé par une alliance objective de forces de droite et de gauche plutôt aventureuses. À droite, on retrouve d’abord des éléments proches de l’ancien président renversé Lucio Guetiérez et ensuite des gens du milieu des affaires et des banques de Guayaquil. À gauche, on retrouve la CONAIE et son bras politique Pachakutik ainsi que des éléments de la gauche radicale critiquant l’autoritarisme de Correa.
10) Sergio Miguel Huarcaya, « Othering the Mestizo : Alterity and Indigenous Politics in Otavalo Ecuador », Latin American and Carribean ehtnic Studies, vol. 5, no 3, 2010 p. 301-315.
Pour Huarcaya, la majorité des travaux sur l’activisme politique autochtone dans les montagnes équatoriennes n’a pas suffisamment porté attention aux différentes formes de subjectivités autochtones. Dans cet article, l’auteur rappelle que les communautés d’Otavalo ont contesté les constructions sociales identitaires, articulant par le fait même une critique autochtone de la notion de métis. En plus de transformer la vision qu’avaient les autochtones d’eux-mêmes, cette critique fut essentielle à la formation d’une intelligentsia autochtone qui forma l’idéologie de la CONAIE, le mouvement national autochtone équatorien.
11) Mathieu Le Quang, La mise en œuvre de l’Initiative Yasuni-ITT, 8 janvier 2011.
Dans cet entretien avec María Fernanda Espinosa, ministre coordinatrice du Patrimoine et coordinatrice de l’Initiative Yasuní-ITT, Mathieu Le Quang éclaire par ses questions les principaux thèmes de ce projet de développement emblématique du gouvernement équatorien. Projet hors du commun visant à lutter contre les changements climatiques, l’Initiative Yasuní-ITT vise à préserver le parc Yasuní de l’exploitation pétrolifère en échange d’une contribution financière de la communauté internationale versée dans un compte en fidéocommis créé par le PNUD.
12) Dans ce court film de The Real News, l’auteur et journaliste Ben Dangl, à partir des cas de la Bolivie et de l’Équateur, observe que certains mouvements ayant contribué à faire élire des gouvernements socialistes sont aujourd’hui très critiques à l’égard de ceux-ci. Plus spécifiquement, Dangl souligne que le conflit tourne autour de la gestion de l’extraction des ressources naturelles.
Voir aussi du même auteur « Ecuador’s Challenge : Rafael Correa and the Indigenous Movements », Upside Down World, 21 octobre 2010.
Dans ce texte qui s’inspire de son dernier livre Dancing with Dynamite : Social Movements and States in Latin America, (AK Press, octobre 2010), Ben Dangl effectue un retour sur le soulèvement des policiers et montre qu’alors que des milliers de partisans de Correa descendaient dans la rue, on remarquait un absent de marque : la CONAIE. Revenant sur les origines de la CONAIE, fondée en 1986 par plusieurs dirigeants et communautés autochtones, Dangl poursuit en illustrant la danse que se livrent celle-ci et le gouvernement de Correa. Pour Dangl, le plus grand défi de la CONAIE est de poursuivre sa lutte pour l’autonomie en critiquant ce gouvernement soi-disant socialiste, et ce, sans pour autant appuyer et nourrir l’opposition de droite.
13) Paul Dosh et Nicole Kligerman, « Correa vs. Social Movements : Showdown in Ecuador », NACLA magazine, vol. 42, no 5.
Dosh et Kligerman montrent que la bonne entente qui régnait entre les mouvements autochtones et écologistes équatoriens et le gouvernement Correa à la suite de l’élaboration de la nouvelle constitution, adoptée par 64 % de la population en septembre 2008, prit fin avec l’adoption d’une loi minière permettant à des compagnies minières l’exploitation de gisements en profitant de plusieurs droits contestés par les mouvements sociaux, notamment les articles 2, 15, 16 et 28 de la loi. Si pour Correa ces industries extractives sont nécessaires afin de financer des programmes sociaux et des politiques redistributives, pour les mouvements autochtones et écologiques, elles vont à l’encontre de la constitution et ne répondent nullement à leurs besoins. La polarisation est telle que le gouvernement Correa, déclarant la guerre aux mouvements écologistes, ferma ou tenta de contrôler plusieurs organisations menant la campagne antiminière, notamment le Development Council of the Indigenous Nationalities and Peoples of Ecuador, le National Directorate of Intercultural Bilingual Educatione et Acción Ecológica.
14) Jennifer Moore, « Ecuador’s Fickle Friend. Canada waffles in it support for Latin American democracies », ALAI, 13 décembre 2010.
Dans cet article, la journaliste Jennifer Moore brosse le portrait des liens particuliers qu’entretiennent les gouvernements équatorien et canadien en soulignant l’importance des intérêts économiques canadiens en Équateur, particulièrement dans le secteur minier. Pour Moore, ces intérêts économiques expliquent la réaction tardive et ambivalente de la diplomatie canadienne lors des évènements du 30 septembre 2010.