Le Front sandiniste de la libération nationale (FSLN) célébrait le 19 juillet dernier le trentième anniversaire de la prise de Managua, aboutissement d’une lutte armée de près de 20 ans contre la dynastie Somoza mettant fin à plus de 40 ans de dictature.
La Révolution populaire sandiniste, quelque 20 années après la Révolution cubaine de 1959, allait inspirer toute la gauche latino-américaine dans un contexte où plusieurs régimes d’Amérique latine étaient composés de dictatures tortionnaires bénéficiant de l’appui de Washington, comme l’avait été celle au Nicaragua. Dans un contexte aussi où d’autres pays centraméricains – notamment le Salvador, le Guatemala et, dans une moindre mesure, le Honduras – connaissaient à la même époque des soulèvements populaires armés, la victoire sandiniste semblait annoncer un tournant majeur dans cette cour arrière des États-Unis. Allaient s’ensuivre des programmes ambitieux de réforme agraire, d’alphabétisation et de nationalisation, qui allaient toucher l’ensemble de la population et transformer le visage de la société nicaraguayenne.
Cependant, la lune de miel fut de courte durée pour le nouveau régime sandiniste que Daniel Ortega allait diriger à partir des élections générales pluralistes de 1984. En effet, des forces contre-révolutionnaires, les Contras, s’organisèrent dès le début des années 1980 et combattirent le régime en place avec l’aide financière et technique de la dictature argentine et surtout des États-Unis de Ronald Reagan. Ces derniers allaient d’ailleurs refuser de reconnaître la Cour internationale de Justice en 1986 après que celle-ci eut statué que l’action des États-Unis au Nicaragua constituait un usage illégal de la force (par le minage du port de Managua) ainsi qu’un acte d’ingérence non justifié (par le soutien majeur aux Contras) (i).
Il serait néanmoins trompeur de présenter les Contras comme un phénomène extérieur résultant seulement de l’ingérence de puissances impérialistes réactionnaires. Les débats sur la collectivisation des terres, immortalisés dans le film Carla’s Song du réalisateur Ken Loach, et les volontés centralisatrices du gouvernement, notamment envers les peuples autochtones de l’Est du pays, avaient aliéné certains groupes qui auraient pu être, ou avaient déjà été, favorables aux forces sandinistes. Accaparant plus de la majorité du budget étatique, la lutte contre les Contras allait miner économiquement le pays et faire des dizaines de milliers de morts. L’expérience sandiniste, du moins la première, prit fin avec la défaite plus ou moins inattendue du FSLN aux élections de 1991.
Allaient suivre trois gouvernements néolibéraux dépouillant le peuple nicaraguayen de nombreux acquis de la révolution et imposant un profond recul social à cette petite nation centraméricaine, recul masqué par la fin de la guerre civile et par une croissance économique fort inégale. En 1998, l’ouragan Mitch montra l’incapacité et la corruption du gouvernement nicaraguayen ainsi que la pauvreté généralisée de la population (le Nicaragua est le deuxième pays le plus pauvre des Amériques après Haïti). Après 16 ans dans l’opposition et trois campagnes présidentielles infructueuses, Ortega revenait au pouvoir en novembre 2006 en prônant durant la campagne électorale « l’amour, la paix et la réconciliation ». Il faut aussi dire que plusieurs années auparavant, le FSLN avait délaissé le rouge et le noir pour le bleu poudre et le rose bonbon, sans parler de sa troublante alliance, le pacte de « gouvernabilité » (El Pacto), avec le libéral et très corrompu Arnoldo Alemán (PLC). Ce pacte, expliquant en bonne partie le retour des sandinistes au pouvoir, modifiait la loi électorale, notamment en abaissant à 35 % le pourcentage nécessaire à un candidat présidentiel pour être élu au premier tour (ii). Autre signe que les temps avaient changé et que le FSLN était prêt à revenir au pouvoir à n’importe quel prix, Ortega enterra la hache de guerre avec un de ses pires ennemis de l’époque révolutionnaire, le cardinal Miguel Obando y Bravo.Ortega a transformé son discours idéologique en invoquant à répétition Dieu et Jésus, en se mariant avec sa compagne, la poétesse Rosario Murillo, afin de « cesser de vivre dans le péché » et surtout, à la suite de la hiérarchie catholique, en dénonçant et finalement en faisant interdire l’avortement thérapeutique par une des lois les plus restrictives au monde (iii).
Le naufrage éthique du sandinisme des années 1990, bien que prenant de nouveaux visages, se perpétuait. Les alliances pragmatiques du FSLN d’Ortega avec la droite religieuse et le PLC ont contribué à démobiliser les forces sociales populaires et à faire du FSLN un parti institutionnel qui, malgré sa victoire en 2006, peut difficilement prétendre à l’étiquette de « révolutionnaire ».Plusieurs des personnalités clés de la Révolution de 1979 dont, entre autres, Sergio Ramírez, Dora María Téllez, Carlos Mejía Godoy, Ernesto Cardenal, face à cette dérive du FSLN, sont passées à l’opposition politique et ont fondé le Mouvement de rénovation sandiniste (MRS) en 1995. D’autres sandinistes de la première heure ont plutôt opté pour s’investir dans le développement des espaces publics, soit à partir des médias, soit en créant des associations et mouvements citoyens. L’acharnement de la part d’Ortega pour faire taire les critiques à son endroit provenant de ces secteurs, comme le démontre le cas CINCO concernant le Mouvement autonome des femmes (MAM) en 2008, a beaucoup contribué à le discréditer davantage depuis deux ans (iv). À ce glorieux palmarès, on peut ajouter les accusations de corruption portées contre le FSLN lors des élections municipales de novembre 2008, élections où le parti d’Ortega remporta 105 des 142 sièges, les 37 autres allant au PLC et à l’ALN, le MSR et le PC ayant été disqualifiés (v).
Reste que malgré tout, une fois au pouvoir, le FSLN a instauré le programme « Faim Zéro » pour combattre la malnutrition, a rendu, à nouveau, la santé et l’éducation élémentaire gratuites et mis sur pied plusieurs autres programmes sociaux universels. Son adhésion à l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) depuis 2007, lui a permis de financer ces divers programmes.
Davantage un acte officiel qu’une célébration populaire, le trentième anniversaire de la Révolution sandiniste en juillet dernier n’a pas soulevé les passions populaires et est passé à peu près inaperçu à l’extérieur du pays. Les modifications constitutionnelles demandées par Ortega afin de pouvoir se représenter comme président aux élections de 2011 (la loi nicaraguayenne actuelle permet à un président de se présenter deux fois, mais de façon non consécutive) ont été approuvées par la Cour constitutionnelle le 19 octobre 2009 et risquent de soulever les passions. Si la probabilité d’un coup d’État semblable à celui du Honduras contre le président Zélaya semble peu élevée, tout porte à croire qu’une coalition nationale d’envergure, regroupant autant les libéraux (PLC, ALN), les conservateurs (PC) que les sandinistes dissidents (MRS), s’opposera à ces modifications de la loi électorale. Dossier à suivre...
Gabriel L’Écuyer
Assistant de recherche à la Chaire Nycole Turmel
Notes
Pour un bref résumé de l’affaire, on peut consulter : www.format-prod.com/droit-etudiants/dip-usa-nicaragua.html
Hernando Calvo Ospina, « Un président controversé » Le Monde diplomatique. http://www.monde-diplomatique.fr/2009/07/CALVO_OSPINA/17458
Roger Burbach, « Et Tu, Daniel ? The Sandinista Revolution Betrayed »,http://alainet.org/active/29169&lang=es
Pour le cas CINCO, voir le texte de Roger Burbach ou encore le site du Nicaragua Network et la critique (Topics 2) du Centro Nicaraguense de Derechos Humanos (CENIDH), www.nicanet.org/ ?p=563
Equipo Nitlápan-Envío, « 30 años después por el túnel del tiempo », publié dans la revue Envío, http://www.envio.org.ni/articulo/401
La Chaire Nycole Turmel vous suggère quelques liens afin de commémorer le trentième anniversaire de la Révolution sandiniste et de faire le point sur le Nicaragua d’aujourd’hui.
La titulaire de la chaire, Nancy Thède, s’entretient avec Karine Mateu de l’émissionLa guerre des mondes sur la situation au Nicaragua.
« De Daniel Ortega a Daniel Ortega », un texte de Gorka Castillo duDiarioPúblico, traitant des scandales autour de Daniel Ortega, chef du FSLN.
Autre texte de Gorka Castillo sur la dérogation en 2007 de la loi permettant l’avortement thérapeutique.
La Chaire suggère également la lecture d’une analyse politique du Centro de Investigaciones de la Comunicación (CINCO) intitulée « La lenta mutación del FSLN ».