Il y a plus d’un mois, la victoire du conservateur Porfirio Lobo aux élections honduriennes marquait non pas le retour à la normalité mais plutôt l’entérinement du coup d’État du 28 juin 2009. Le coup devenait un fait accompli, le président déchu Zélaya renonçant au pouvoir et ses partisans rentrant à la maison sans toutefois reconnaître le nouveau gouvernement. Ce gouvernement, largement majoritaire à la suite d’une parodie d’élection ayant pour but de doter le régime d’une légitimité renouvelée, cherche depuis le 30 novembre la reconnaissance internationale afin de réintégrer officiellement le concert des nations, notamment l’Organisation des États américains (OEA). Si une majorité de pays latino-américains ont refusé jusqu’ici de reconnaître le président Lobo, celui-ci profite cependant du soutien officiel du gouvernement Obama et du soutien tacite de plusieurs pays de l’Union européenne. Si le gouvernement fait tout pour normaliser sa situation sur la scène internationale, la situation est fort différente à l’intérieur du Honduras, alors que les enlèvement et les assassinats se poursuivent impunément depuis le soi-disant retour à la démocratie. Revenons sur les événements qui ont mené à cette crise dans ce petit pays d’Amérique centrale.
Le 28 juin dernier, le président élu du Honduras, Manuel Zélaya était tiré de son lit par des soldats cagoulés et exilé en direction du Costa Rica. Alors qu’on croyait l’Amérique latine, forte de plus de deux décennies de régimes démocratiques, à l’abri de coups d’État, voici que le Honduras remet tout en question. S’agit-il d’un simple anachronisme, ou d’un signe avant-coureur d’un retour aux vieilles méthodes de main forte ?
Représentant d’un parti de centre-droit, le parti libéral du Honduras, Manuel Zélaya entra en fonction en 2006. Faisant adhérer le Honduras à la zone Petrocaribe et à l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) en 2008, deux initiatives vénézuéliennes, Zélaya se mit à dos les élites politiques et économiques honduriennes, traditionnellement plus proches des États-Unis. À partir de juin 2009, un bras de fer s’est engagé entre le président et ses opposants, notamment le Congrès, la Cour Suprême et le commandement militaire. Cette crise politique avait pour objet immédiat la consultation à caractère non contraignante que voulait organiser le président Zélaya. La consultation aurait demandé aux Honduriennes et aux Honduriens s’ils désiraient ou non la convocation d’une assemblée nationale constituante qui aurait pu mener à des réformes constitutionnelles.
Craignant que Zélaya utilise cette assemblée afin de supprimer la clause interdisant au président d’effectuer plus d’un mandat et qu’il imite Hugo Chávez, (notamment par ses appels à la démocratie participative et ses tirades contre le capitalisme), le Congrès et la Cour Suprême déclarèrent cette tentative de consultation illégale et anticonstitutionnelle. Le conflit s’accéléra à partir du 24 juin avec le refus du chef d’état major, le général Romeo Vásquez Velásquez, de superviser la logistique de la consultation devant avoir lieu le 28 juin. Défiant le Congrès, la Cour Suprême et l’état-major militaire, Zélaya s’appuya sur la Loi de participation citoyenne et récolta plus de 400 000 signatures afin de justifier démocratiquement la tenue de cette consultation. Refusant de remettre en question un système de représentation politique donnant un poids important aux pouvoirs législatif et judiciaire contrôlés par les forces conservatrices, les opposants de Zélaya le renversèrent le 28 juin au matin avec un coup d’État rappelant la tentative ratée contre Chávez en 2002 (notamment l’implication des grands médias honduriens ainsi qu’une fausse lettre de démission attribuée à Zélaya présentée devant le Congrès).
La suite des événements est bien connue : soulèvements populaires massifs en appui à Zélaya, répression brutale et mise en veilleuse de l’état de droit, condamnation des putschistes par l’ensemble de la communauté internationale (bien qu’à des degrés différents), échec de la médiation du président costaricain Oscar Arias, échec des tentatives de Zélaya pour rejoindre Tegucigalpa en juillet...
Le 21 septembre, à la surprise générale, le président Zélaya avait rejoint la capitale hondurienne et trouvé refuge dans l’ambassade brésilienne avec quelques dizaines de partisans. Signe d’un règlement prochain de la crise ou d’une flambée de violence et de répression à venir ? Après plus d’un mois d’âpres négociations et d’intimidation de la part des forces putschistes, Zélaya et Michelleti annonçaient le 29 octobre dernier une sortie de crise prochaine et la création d’un gouvernement d’union nationale avec Zélaya à sa tête. Coup de théâtre (ou dénouement prévisible ?), ces accords ont été torpillées, Michelleti refusant d’intégrer les anciens ministres de Zélaya dans le gouvernement de réconciliation nationale et reportant le vote du congrès sur le rétablissement de Zélaya dans ses fonctions après la tenue des élections du 29 novembre. Par ailleurs, peu avant les élections, de nombreux attentats se multiplièrent principalement contre des opposants et opposantes du régime, mais aussi marginalement contre les pro-putschistes.
Refusant de donner une quelconque légitimité à la mascarade électorale organisée par le gouvernement de Michelleti, le Front de résistance au coup d’État lança un appel au boycott et plusieurs candidats de gauche, notamment le syndicaliste et candidat indépendant Carlos Reyes retirèrent leur candidature, laissant la voie libre au Parti national de Porfirio Lobo et au Parti libéral de Elvin Santos, tous deux faisant partie de l’oligarchie hondurienne. Lobo l’emporta haut la main dans des élections marquées par plusieurs accusations de fraude, notamment en ce qui concerne un taux anormalement élevé de participation. Quatre jour plus tard, le congrès hondurien votait massivement contre le rétablissement du président déchu, ce qui lui aurait permis de réintégrer ses fonctions jusqu’à la fin de son mandat le 27 janvier 2010. Michelleti restait donc en poste et les supposés accords historiques de réconciliation du 29 octobre semblaient un rêve lointain. Les élites honduriennes étaient gagnantes sur toute la ligne. Les forces populaires étaient quant à elles muselées autant par la violence et l’intimidation faite par l’armée et la police que par les graves limites à la liberté d’expression.
Le gouvernement de Lobo multiple depuis le 30 novembre les voyages à l’extérieur du pays afin de convaincre les gouvernements de la planète de reconnaître la légitimité du renversement de Zélaya et des dernières élections. Au niveau américain, le Costa Rica, la Colombie, le Canada, États-Unis, le Pérou et le Panama sont les seuls à reconnaître le nouveau gouvernement. Après quelques tergiversations, les diplomates étatsunien ont préféré voir la crise à travers une lunette de néo-Guerre froide où le Venezuela et ses alliés représentent l’ennemi continental. Ce n’est pas la première fois que les États-Unis choisissent de contenir les flambées des forces de gauche au détriment de la démocratie libérale et de l’état de droit.
Depuis le début décembre, le Front de résistance au coup d’État ne revendique plus le rétablissement de Zélaya à la présidence, lui même rejetant cette possibilité, mais plutôt la mise sur pied d’une assemblée constituante à forte majorité populaire afin de transformer la très conservatrice constitution hondurienne. Est-il besoin de rappeler que c’est en tentant d’organiser un référendum demandant la création d’une telle assemblée que le gouvernement de Zélaya s’est fait renverser ? Loin de se normaliser à l’interne, l’état de droit n’est toujours pas rétabli, les violences se poursuivent, la population est muselée et le gouvernement en profite pour détruire l’héritage du gouvernement précédent, notamment la Loi de participation citoyenne et l’adhésion du Honduras à l’ALBA. Plus de six mois après le coup d’État, la situation au Honduras ne défraie plus la chronique. À suivre.
Gabriel L’Écuyer
Assistant de recherche à la Chaire Nycole Turmel
La chaire Nycole Turmel vous propose quelques liens afin de bien saisir la nature du conflit au Honduras
Articles
« Une dictature qui ne dit pas son nom », un article duCourrier Internationalun an après le coup d’État au Honduras.
« Otro periodista muerto en Honduras », un texte du journalPágina 12publié le 22 avril 2010 sur les assassinats récents de journalistes au Honduras.
« Why Honduras Sent Zelaya Away », article du Wall Street Journal par Mary Anastasia O’Grady.
Entrevues
Entrevue avec Silvana Forti sur le Coup d’État au Honduras.
[« Le Honduras est le gendarme des états-Unis en Amérique centrale », Entrevue du 7 décembre 2009 avec le syndicaliste Carlos Reyes publiée sur L’Humanité.
Entrevue avec Leticia Salomon sur le coup d’État au Honduras.
Entrevue avec Berta Caceras, leader du Frente Nacional de Resistencia contra el Golpe en Honduras.