Le mouvement Idle no more a été initié par des femmes, au Canada comme au Québec. Au Canada, Jessica Gordon, Sylvia McAdams, Sheelah McLean et Nina Wilson se sont élevées contre l’adoption du projet de loi C-45 qui modifie sans consultation les conditions d’attribution des terres autochtones tout comme la protection des eaux navigables. Au Québec, ce sont de jeunes autochtones urbaines, Mélissa Mollen-Dupuis et Widia Larivière, qui ont utilisé les réseaux sociaux avec une redoutable efficacité puisque la protestation s’est étendue comme traînée de poudre de Sept-Îles à Montréal, de Val-d’Or à Listuguj. La grève de la faim de Theresa Spence a donné un visage à ce haut-le-cœur des autochtones du pays.
Ce mouvement, initié par des femmes, ne porte pas principalement sur les droits des femmes, mais bien sur les droits des peuples autochtones du pays qu’ils soient ou non issus de traités. Lors d’une manifestation, une jeune autochtone mentionnait à la caméra que les nouvelles dispositions de la loi C-45 rendraient impossible aux autochtones l’accomplissement de leur obligation de protéger la terre mère.
Ce mouvement résolument moderne plonge dans la tradition et l’histoire, les racines de sa révolte. La protection de l’environnement et l’affirmation du statut de peuple sont au cœur des revendications, et ce sont des femmes qui portent le message.
Les femmes autochtones canadiennes ne sont pas seules à se lever pour prendre la défense de leurs communautés, de leurs peuples. Elles ont d’ailleurs rapidement reçu l’appui du Réseau continental des femmes autochtones, dont la coordination se trouve au Pérou (Enlace Continental de Mujeres Indígenas de las Américas) et qui compte deux membres au Canada : Femmes autochtones du Québec et l’Association des femmes inuit Pauktuutit. Ce réseau qui existe depuis 1995 couvre plus d’une vingtaine d’organisations dans autant de pays des Amériques. Ce réseau permet de donner une voix aux femmes dans les débats internationaux notamment à l’Instance permanente sur les questions autochtones de l’ONU. Il permet également aux femmes de se former et de faire valoir leurs priorités dans le mouvement autochtone. Car l’Enlace est profondément solidaire des luttes des peuples autochtones du continent, de la protection des territoires et de la survie des communautés.
Les femmes doivent parfois rappeler à l’ordre leurs dirigeants et Idle no moreen est un exemple. Ce n’est pas nécessairement un désaveu, c’est la voix des autochtones des communautés, des villes et des villages qui s’élève. Dans la tradition autochtone, les leaders sont davantage des porte-parole que des décideurs et il faut parfois le leur rappeler.
Les femmes autochtones de toutes les Amériques sont en marche. Au Panama en 1998, les femmes Kuna ont empêché la construction d’une base navale sur leur territoire malgré des tractations initiées entre le gouvernement et le leadership kuna. En 2012, c’est une femme, Silvia Carrera, « cacique » du peuple Ngöbe (également du Panama) qui a mené la lutte contre un projet de barrage hydroélectrique sur son territoire. Ce sont les femmes qui étaient au front et qui ouvraient toutes les manifestations. C’est aussi Silvia Carrera qui a mené les négociations avec le gouvernement de son pays. En Bolivie, les femmes, en majorité autochtone, ont su faire inscrire plusieurs changements en leur faveur dans la nouvelle constitution de 2009 (dont une clause reconnaissant la parité homme femme dans toutes les sphères du pouvoir politique). En Argentine, un nouvel institut pédagogique entièrement dédié aux autochtones de la province de Jujuy au nord du pays, accepte les étudiants des communautés en paire (un homme et une femme) afin de respecter le principe de dualité inscrit dans la tradition Kolla. Cette pratique a permis d’augmenter la présence des femmes autochtones dans les débats publics. L’Association des femmes inuit avait également invoqué ce principe pour proposer en 1997 que les circonscriptions du Nunavut soient représentées par un homme et une femme en même temps. Cette proposition avait été écartée lors d’un plébiscite, mais avait reçu un certain appui et provoqué de nombreuses discussions.
Dans tous les pays des Amériques, les femmes autochtones ont été victimes de politiques coloniales façonnées par une tradition européenne patriarcale. Partout dans les Amériques elles font appel à une réinterprétation de la tradition autochtone pour forcer une modification des relations avec les gouvernements des pays qu’elles habitent, pour retrouver un équilibre avec la nature et au sein des nations dont elles font partie. Le mouvement Idle no more est provoqué par la surdité du gouvernement Harper, par le non-respect de l’esprit des traités signés entre la Couronne et les peuples autochtones, par la croissance démographique autochtone, le chômage, les conditions de vie misérables et l’érosion des territoires autochtones grugés par une exploitation des ressources naturelles qui ne leur profite pas. Il puise sa vision dans l’identité profonde de peuples millénaires dont les femmes se font les porte-parole et les défenseures.
Marie Léger
Sociologue, politologue et chercheure à la Chaire Nycole Turmel sur les espaces publics et les innovations politiques.
Article sur le Journal des Alternatives : http://journal.alternatives.ca/spip.php?article7353