Irving Lewis
Candidat au doctorat en science politique, Université Laval
Dans le système international contemporain issu du traité de Westphalie, la diplomatie reste en général l’apanage des États. Avec le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), corps diplomatique par excellence visant à accroître la cohérence et l’efficacité de la politique étrangère européenne, l’Union européenne (UE) veut cependant renforcer son rôle politique sur la scène internationale, même si elle ne dispose pas de certains attributs classiques d’un État. Puisque le SEAE reste encore peu connu un an après sa mise en place, il est intéressant de revenir sur son rôle dans l’architecture de la politique étrangère européenne et les défis qui entourent sa mise en place.
Un nouvel acteur du jeu institutionnel européen
Créé par le traité de Lisbonne, le SEAE a principalement pour rôle d’aider le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à exercer ses fonctions. Ce dernier est président du Conseil des affaires étrangères (traitant de toutes les questions relatives aux relations extérieures de l’UE sauf à la politique commerciale commune) et vice-président de la Commission. Il peut aussi au besoin assister le Président du Conseil européen, le Président de la Commission européenne et l’ensemble de la Commission européenne. Ce poste est actuellement occupé depuis novembre 2009 par la Britannique Catherine Ashton.
Le SEAE est composé d’une administration centrale et des délégations de l’Union dans les pays tiers et auprès des organisations internationales (environ 140 délégations qui couvrent toutes les régions du monde). Il est géré par un Secrétaire général exécutif, assisté d’un secrétaire général administratif qui forment une direction collégiale avec le Haut Représentant lui-même, les deux secrétaires généraux adjoints et les directeurs des sept départements.
Le personnel du service provient des institutions européennes (2/3) et des États membres (1/3). À la fin de l’année 2011, il comptait 3 611 agents, dont 1 551 basés à Bruxelles et 2 060 dans les délégations de l’Union à travers le monde. Si le premier budget de fonctionnement du SEAE est chiffré à 464 millions €, dont environ 184 millions € sont attribués aux services centraux et 280 millions € aux délégations, une augmentation de 26,9 millions € a été demandée et accordée pour l’année 2012.
Quel bilan un an après ?
Un peu plus d’un an après son inauguration le 1er décembre 2010 et le début de ses travaux au 1er janvier suivant, le bilan reste provisoire. Une première évaluation est prévue, à la mi-2013, à la demande de la Haute Représentante. Toutefois, cette dernière a déjà souligné dans un rapport présenté le 22 décembre 2011 au Parlement, au Conseil et à la Commission, qu’en raison de la crise économique internationale, des tensions dans la zone euro et du Printemps arabe, le contexte n’était pas idéal pour le lancement d’un nouveau service pour les relations extérieures de l’Union.
Il est indéniable que le contexte politique et économique mondial n’a pas joué en faveur d’une mise en place rapide et efficace de ce nouveau service. La personnalité de Catherine Ashton de même que son leadership sont également clairement mis en cause pour justifier l’inefficacité du SEAE dans l’accomplissement de ses missions. Nombreux observateurs lui reprochent son manque d’énergie politique, son inexpérience dans les affaires diplomatiques et par ricochet son incapacité à concilier les trois grandes capitales européennes (Paris, Londres et Berlin) qui représentent à elles seules 40 % de la population de l’Union et plus de la moitié de son PIB. Des critiques ont également transparu dans une lettre datée du 8 décembre 2011, envoyée à la Haute Représentante par les ministres des Affaires étrangères de 12 États membres de l’Union (Belgique, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne et Suède), pour fustiger le peu de progrès accompli par son service depuis sa mise en place. Le manque de coordination avec la Commission et les difficultés d’organisation avec les délégations à l’étranger étaient également relevés.
Malgré tout, le service a enregistré quelques réussites. Parmi elles, il faut noter l’adoption, le 3 mai 2011, par l’Assemblée générale des Nations Unies, de la résolution 65/276. Celle-ci définit les modalités de la participation des représentants de l’Union, « en qualité d’observatrice », à ses sessions et travaux et à ceux de ses commissions et groupes de travail, aux réunions et conférences internationales organisées sous son égide, ainsi qu’aux conférences des Nations Unies. Cela laisse entrevoir de belles perspectives pour la diplomatie multilatérale européenne. De même, dans le cadre des activités de la direction générale de la gestion des crises et de la planification du SEAE, une « salle de crise » a été inaugurée le 18 juillet 2011. Elle est destinée à soutenir la plateforme de crise, en fournissant de manière permanente (24h/24 et 7j/7) une veille mondiale, un suivi de situation actualisé et un service réactif destiné aux délégations à l’étranger ainsi qu’aux missions et opérations de la Politique de Sécurité et de Défense Commune. Cela montre l’importance accordée au développement des capacités de réponse aux crises et à la recherche de la cohérence dans les actions externes de l’UE dans le domaine. Les premières plateformes de crise ont été développées et testées en Tunisie (janvier 2011), en Égypte (février 2011) et en Libye, notamment à Benghazi (mars-mai 2011).
Les défis pour l’avenir
Catherine Ashton, dans son rapport du 22 décembre 2011, identifiait quatre priorités pour l’avenir du service : 1) consolider sa capacité à fournir de la substance politique dans les différents domaines d’action du SEAE ; 2) accroître l’importance des délégations européennes, en première ligne de l’action extérieure de l’UE, à travers la coopération avec les ambassades nationales des États membres et le transfert progressif des ressources des administrations centrales vers elles ; 3) construire une culture organisationnelle partagée nécessaire à l’édification d’un SEAE unifié ; et 4) résoudre les problèmes existants dans les relations avec la Commission (gestion du personnel dans les délégations, rapports hiérarchiques, responsabilités financières).
Il faudra certainement du temps pour aplanir les différends avec la Commission et il en faudra encore davantage pour harmoniser la culture des trois sources de recrutement du SEAE (la Commission, le Conseil et les États membres). Pour réussir le pari d’une culture organisationnelle partagée, la Haute Représentante et ses collaborateurs devraient travailler à la formulation d’une vision de la politique étrangère européenne : la seule référence actuelle en la matière est la Stratégie européenne de sécurité rédigée sous l’autorité de Javier Solana, en 2003, et complétée par un Rapport sur sa mise en œuvre, en 2008, lors de la présidence tournante française. Or, non seulement cette stratégie commence à dater, mais le document réduit également l’action extérieure de l’Union à la seule sécurité, en occultant d’autres secteurs importants de sa diplomatie. Ce texte est également peu ambitieux, ayant été élaboré après les divisions profondes parmi les pays européens au sujet de l’intervention militaire américaine en Irak. Tout cela explique qu’il soit actuellement en cours de révision.
Certes, la Haute Représentante et son équipe, de concert avec la Commission, ont travaillé à la naissance de plusieurs stratégies comme le Partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de la Méditerranée (mars 2011) en réponse au Printemps arabe, la Nouvelle politique européenne de voisinage (mai 2011) et les stratégies pour le Soudan, le Sahel et la Corne de l’Afrique. Toutefois, ce dont a actuellement besoin l’Union, pour assurer la cohérence et garantir l’efficacité de ses actions à l’extérieur, c’est d’une grande stratégie de politique étrangère.
Enfin, on peut regretter que des aspects importants de l’action extérieure de l’UE tels que le commerce et l’aide humanitaire, pour ne citer que ceux là, soient placés hors de la portée du SEAE. Il faut également souligner que la Haute Représentante a un agenda difficile à gérer : entre présider le Conseil des affaires étrangères (une fois par mois), assister aux Conseils européens, siéger comme vice-présidente à la Commission (une fois par semaine), remplir toutes les obligations diplomatiques liées à son poste de Haute Représentante (par exemple présider le comité directeur de l’Agence européenne de défense) et entretenir des consultations régulières avec le Parlement et les États membres, il lui est très difficile de s’investir efficacement dans la direction du service. Si toutes ces responsabilités participent à la cohérence tant recherchée dans l’action extérieure de l’UE, elles pourraient également bien être une des causes de son inefficacité.
Pour aller plus loin :
– Hemra, S., Raines, T. & Whitman, R. A Diplomatic Entrepreneur : Making the Most of the European External Action Service. Chatham House Report. Décembre 2011.
http://www.chathamhouse.org/publications/papers/view/180287
– Balfour, R., Bailes, A. J. K. & Kenna, M. The European External Action Service at work How to improve EU foreign policy. EPC Issue Paper No. 67. Janvier 2012. http://www.epc.eu/pub_details.php?cat_id=2&pub_id=1399
– Blockmans, S. The European External Action Service one year on : First signs of strengths and weaknesses CLEER working paper 2012/2. Février 2012. http://www.asser.nl/Default.aspx?site_id=26&level1=14467&level2=14468&textid=40198