Par Irakli Gelukashvili ; Candidat au doctorat en science politique à l’UQAM)
Début juin 2011 s’est tenue la première réunion du Conseil OTAN-Russie (COR) au niveau des ministres de la Défense depuis la guerre russo-géorgienne d’août 2008. L’objectif de cette réunion était de redémarrer la collaboration militaire entre l’OTAN et la Russie dans divers domaines relevant de la sécurité. Un mois plus tard, le 4 juillet 2011, sur invitation des autorités russes, les ambassadeurs du COR se sont réunis à Sotchi. Lors de cette réunion, les membres du COR ont réaffirmé leur détermination à poursuivre la coopération dans le domaine de la défense antimissile et d’autres domaines d’intérêts communs. Ainsi, après une période tendue, avec notamment la suspension du COR pendant un an suite à l’intervention russe en Géorgie, le dialogue entre l’OTAN et la Russie semble prendre un nouvel essor, dans la foulée notamment du Sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Lisbonne en novembre 2010. L’objectif est ici d’indiquer les grandes étapes de ce rapprochement ainsi que les raisons qui l’expliquent.
La guerre russo-géorgienne et ses conséquences
La guerre de cinq jours entre la Russie et la Géorgie est liée au désir de la Russie de s’affirmer comme une puissance majeure sur la scène internationale et d’arrêter l’expansion de l’OTAN au sein de l’espace post-soviétique. Ce désir était particulièrement fort depuis la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par les Occidentaux, mais aussi depuis la première vague d’élargissement de l’Alliance atlantique (en Hongrie, en Pologne et en République tchèque). À cela s’ajoute également les tentatives des États-Unis d’installer un bouclier antimissile en Europe centrale. Ainsi, en affrontant et en vainquant un État à la fois étroitement aligné sur les États-Unis et déterminé à intégrer l’Alliance atlantique, Moscou a démontré que les garanties de sécurité offertes par Washington ne sont pas solides dans la zone d’influence traditionnelle de la Russie. Ce conflit a eu un impact sur les politiques étrangères des pays de la région et sur la politique internationale.
L’OTAN a par la suite annoncé qu’elle suspendait les réunions à venir du COR si la Russie ne respectait pas les engagements prévus dans le plan de paix en six points. Ce plan de paix prévoyait un cessez-le-feu immédiat et un retour des forces militaires russes et géorgiennes à leurs frontières traditionnelles respectives. La Russie décide quant à elle d’arrêter la coopération avec l’Alliance atlantique dans plusieurs domaines relevant de la sécurité internationale (notamment la lutte contre le terrorisme et le trafic des drogues). Environ trois semaines après le conflit géorgien, le Parlement russe vote à l’unanimité une motion reconnaissant l’indépendance des régions séparatistes de Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.
De multiples raisons de se rapprocher
Toutefois, très vite, après cette brusque détérioration des relations entre l’OTAN et la Russie, certains membres de l’Alliance, comme l’Allemagne et la France, commencent à rétablir des relations avec Moscou. En septembre 2008, lors d’une réunion informelle de l’OTAN, les ministres de la Défense expriment leur volonté de poursuivre la coopération avec la Russie dans certains domaines d’intérêt commun. Le « retour » de la Russie sur la scène internationale s’explique principalement par deux facteurs : le redressement de son économie (grâce à l’augmentation des prix du gaz naturel et du pétrole sur le marché mondial) et la centralisation du pouvoir étatique (notamment depuis l’arrivé au pouvoir de Vladimir Poutine). C’est pourquoi le nouveau concept stratégique que l’OTAN adopte en novembre 2010 souligne, entre autres, l’importance de la coopération entre l’Alliance atlantique et la Russie dans le but de créer « un espace commun de paix, de stabilité et de sécurité ». Durant le même mois s’est tenue une réunion du COR lors de laquelle les parties conviennent de développer ensemble une analyse exhaustive du futur cadre de leur coopération dans le domaine de la défense antimissile et pour affronter les défis de sécurité du 21e siècle.
En fait, les pays membres de l’OTAN, comme la Russie, font face à de nouvelles menaces : la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme, le trafic de drogues, la piraterie, le crime organisé, les cyber-menaces, etc. Pour améliorer l’environnement sécuritaire dans toute la région euro-atlantique, ils ont besoin de coopérer sur des enjeux comme la défense antimissile, l’Afghanistan, l’Iran, la Corée du Nord, la gestion des conflits gelés (Géorgie, Azerbaïdjan, Moldavie), la crise économique, la production énergétique, etc. Plus précisément, la coopération de la Russie est nécessaire pour empêcher la prolifération des armes et armement, pour trouver un consensus sur l’Iran, pour faciliter la prise de décision au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, pour lutter contre le terrorisme et le trafic de drogues, pour assurer la sécurité énergétique des membres de l’OTAN, etc.
Hauts et bas dans les relations Russie-OTAN
Sur une courte période couvrant environ trois ans, les relations entre l’OTAN et la Russie ont donc connu plusieurs tentatives de rapprochements, mais aussi plusieurs ruptures. En décembre 2008, l’OTAN s’abstient d’offrir le statut de membre du Plan d’action (MAP) à la Géorgie et à l’Ukraine. Le MAP est un programme conçu pour aider les pays qui entreprennent des démarches pour adhérer à l’OTAN. C’est la dernière étape avant leur adhésion formelle à l’Alliance atlantique. Durant le même mois, l’OTAN décide de reprendre les sessions informelles du COR, tout en laissant entendre que la porte d’entrée dans l’Alliance reste ouverte pour tous les candidats. C’est ainsi qu’au mois de mars 2009, les ministres des affaires étrangères de l’OTAN décident de lancer un dialogue formel avec la Russie, même si elle n’a toujours pas respecté le plan de paix en six points.
Le 30 avril 2009, l’exclusion pour espionnage de deux diplomates russes auprès de l’Alliance déclenche un nouveau conflit entre la Russie et l’OTAN. En mai 2009, l’OTAN effectue un exercice militaire dans le cadre du Partenariat pour la paix en Géorgie, ce qui provoque une fois de plus le mécontentement des dirigeants russes. En réponse, la Russie annule sa participation à la réunion du COR au niveau des ministres de la Défense prévu pour le 7 mai. Elle annonce également son absence lors de la première session du COR réunissant les ministres des Affaires étrangères prévu les 17 et 18 mai.
Toutefois, malgré ces désaccords, le 27 juin 2009 s’est tenue la première réunion du COR au niveau des ministres des affaires étrangères. À cette occasion, il est décidé de redémarrer la coopération militaire entre l’OTAN et la Russie. Dans cette lignée, en septembre 2009, le président Obama décide de modifier le projet de bouclier antimissile, jugé trop coûteux et peu efficace. De même, en avril 2010, Dimitri Medvedev et Barack Obama signent le nouveau traité START et ainsi s’engagent à réduire un tiers de leur arsenal d’ogives nucléaires sept ans après la ratification du traité.
L’avenir des relations
Même si depuis août 2008 les relations entre l’OTAN et la Russie n’ont pas cessé de s’améliorer, elles sont restées assez limitées. Malgré des différends importants, l’OTAN et la Russie ont créé un environnement politique positif, permettant un véritable dialogue et un engagement mutuel. La principale condition pour que les relations entre ces deux acteurs s’améliorent encore repose sur un respect mutuel des intérêts de chaque partie. L’OTAN devrait être plus sensible aux préoccupations sécuritaires de la Russie et réaliser que la Russie est de retour sur la scène internationale. Les événements entourant l’élargissement de l’OTAN durant les trois dernières années ont clairement montré que la Russie, qui n’est pas membre de l’OTAN, a la capacité de bloquer l’adhésion de certains pays candidats à l’OTAN (Ukraine et Géorgie) et l’élargissement de l’Alliance vers l’Est européen.
De son côté, la Russie doit se rendre compte que la politique de l’OTAN n’est pas nécessairement guidée par la politique étrangère des États-Unis (même si ces derniers ont eu une influence majeure sur la prise de décision au sein de l’Alliance depuis 1991). De ce fait, les tentatives de diviser les membres de l’Alliance ne servent qu’à engendrer des soupçons (par exemple lors du sommet de Bucarest en 2008, l’Allemagne, épaulée par la France, a bloqué l’accès de l’Ukraine et de la Géorgie au MAP). La Russie a aussi besoin de coopérer avec l’Occident. Elle voit notamment de plus en plus un intérêt à adhérer à l’Organisation mondiale du Commerce : il est devenu clair qu’être dépendant seulement des exportations de ressources énergétiques est problématique et qu’il faut se doter d’un marché plus concurrentiel dans d’autres domaines, ce qui passe par la mise en place de réformes économiques adéquates.
Ainsi, malgré plusieurs désaccords, il y a de réelles possibilités que les relations entre l’OTAN et la Russie s’améliorent progressivement, notamment en raison d’un véritable besoin stratégique des deux côtés. Toutefois, l’expérience passée a montré que malgré un besoin réel, les deux acteurs n’arrivent pas toujours à s’entendre. Malgré des efforts considérables, il est fort probable que l’OTAN et la Russie n’arrivent pas à trouver un consensus sur l’installation d’un système antimissile en Europe centrale. Selon les États-Unis, cela protégerait les membres de l’Alliance contre les attaques éventuelles des missiles provenant des « États voyous », comme l’Iran ou la Corée du Nord. La Russie, de son côté, considère que les États-Unis exagèrent la menace iranienne et qu’avec le temps ces intercepteurs de défense peuvent être transformés en armes offensives contre elle. Pour elle, cela va créer un système global de défense antimissile, renforçant ainsi la position hégémonique des États-Unis. Dans ce contexte, la visite prochaine (en novembre 2011) du secrétaire général de l’OTAN en Géorgie influencera sans doute négativement les relations entre l’Alliance atlantique et la Russie, compte tenu du fait que durant cette visite il sera à nouveau question de l’intégration de la Géorgie au MAP.
Pour aller plus loin :
Jolicoeur, P., « L’intervention russe en Géorgie et le jeu d’équilibre des puissances », Points de mire, Vol. 9, no. 7 (8 septembre 2008).
Lachmann, N., « Les défis du nouveau concept stratégique de l’OTAN », Points de mire, Vol. 11, no. 8 (3 août 2010).
OTAN, « NATO-Russia relations », [En ligne] : http://www.nato.int/cps/en/natolive/topics_51105.htm