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L’administration Obama et le projet Aegis : un coup fatal pour les défenses antimissile en Europe ?


Une autre pierre de l’édifice laissé en héritage par l’administration du président George W. Bush en politique étrangère est tombée. Dans une déclaration prononcée le 17 septembre 2009, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a désavoué son ancien patron en annonçant l’abandon par les États-Unis du projet de construction d’un bouclier antimissile en Europe de l’Est. Né dans la controverse, celui-ci prévoyait l’installation de dix missiles intercepteurs et d’une station radar sur le territoire de la Pologne et la République tchèque afin d’endiguer une éventuelle attaque de missiles à longue portée provenant de l’Iran.

Le dispositif envisagé par le plan républicain devrait être remplacé par le système de défense Aegis, une initiative moins ambitieuse qui projette de localiser des radars à proximité de l’Iran et d’aménager sur des navires des intercepteurs conçus pour neutraliser des missiles de courte ou moyenne portée durant leur phase de lancement. Ce tournant coïncide avec la publication d’un rapport des services de renseignement américains qui minimise la capacité de la République islamique d’Iran de se munir de missiles intercontinentaux avant 2015.

La position conciliante du président Obama en matière de défense antimissile a été décriée par ses adversaires républicains qui l’accusent d’avoir affaibli la position des États-Unis en cédant aux pressions du Kremlin. Lors de la signature de l’entente entre Washington et ses nouveaux partenaires, le président russe, Dmitri Medvedev, avait manifesté son profond désaccord avec l’initiative américaine, n’hésitant pas à menacer de déplacer à son tour des missiles dans l’enclave russe de Kaliningrad, à la frontière de la Pologne.
Cependant, bien que l’interruption du projet américain ait été saluée par Moscou, l’épisode des défenses antimissile en Europe n’a probablement pas connu son dénouement final. En effet, le développement du programme Aegis, dont certaines composantes devront être déployées au sol, pourrait faire naître un nouveau contentieux entre les États-Unis et la Russie. Si, dans l’immédiat, la mise en veilleuse du plan initial des Américains semble profiter à leurs vis-à-vis russes, à plus long terme, les nouvelles visées démocrates pourraient ironiquement compromettre davantage la sécurité de la Russie.

L’appui mitigé de Barack Obama

Lancé sous l’administration Clinton en 1999 et développé sous celle du président Bush, le système de défense antimissile est un vaste projet visant à protéger le territoire des États-Unis, et ultimement celui de leurs alliés, contre une attaque limitée de missiles balistiques. Jusqu’à récemment, les intercepteurs basés au sol (Ground-Based Midcourse Defense – GMD) constituaient le prototype de défense antimissile que les États-Unis souhaitaient déployer le plus rapidement possible et qui a accaparé la majorité des ressources budgétaires de la Défense. Le Pentagone a déjà procédé à l’assemblage de 25 missiles intercepteurs sur deux sites en Alaska et en Californie, destinés principalement à abattre au-dessus de l’atmosphère des missiles tirés à partir de la Corée du Nord. Cherchant à renforcer ses capacités de défense contre les missiles iraniens, Washington a amorcé des pourparlers avec la Pologne et la République tchèque afin de trouver un site pour accueillir des composantes du GDM. Les États-Unis ont obtenu le feu vert de leurs alliés à l’été 2008 en échange de l’acquisition d’une batterie de missiles américains Patriot.

L’élection des Démocrates à la Maison-Blanche et au Congrès des États-Unis est cependant venue contrarier les plans de l’ancienne administration républicaine. Lors de la dernière campagne présidentielle, le candidat Barack Obama n’a pas affiché le même empressement que son rival à déployer un dispositif de défense en Europe en raison des obstacles techniques auxquels se heurte le GMD. Les congressistes démocrates ont également amputé les sommes attribuées à ce projet, refusant de dépenser pour des technologies dont l’efficacité n’a pas été pleinement démontrée. Depuis 1999, les chercheurs américains ont procédé à 13 tentatives d’interception de missiles, dont huit ont réussi, sans toutefois tenir compte de nombreux impondérables techniques. Face aux problèmes de faisabilité du bouclier antimissile, les partisans du projet font valoir néanmoins qu’il est préférable d’ériger une défense antimissile imparfaite que d’être privé complètement de capacités de défense.

Les objections de la Russie

Soucieux de rebâtir les relations entre les États-Unis et la Russie, le président Obama a refusé d’entériner, au moment de son entrée en fonction, la décision de son prédécesseur concernant la construction d’un système de défense antimissile à proximité de la frontière russe. En février dernier, l’administration américaine a posé un premier geste de rapprochement à l’égard de la Russie en proposant de réévaluer la nécessité de mettre en place un tel dispositif, en échange de la collaboration de Moscou dans le désarmement nucléaire de l’Iran. S’il a accueilli positivement la nouvelle ouverture des États-Unis à l’endroit de son pays, le président Medvedev a toutefois rejeté l’offre de Washington, affirmant que la Russie n’était pas disposée au compromis sur la question des défenses antimissile.

Afin de signifier son objection aux dernières prétentions américaines en Europe de l’Est, le gouvernement russe a menacé de suspendre ses engagements envers le Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) (voir Points de mire, vol. 8, no 10, 19 décembre 2007). La Russie redoute en effet que le déploiement d’un système de défense antimissile à proximité de son territoire affaiblisse sa capacité de dissuasion nucléaire, compte tenu du vieillissement de son arsenal militaire (la Russie possède 58 % moins de missiles intercontinentaux qu’en 1991). Conscients que les dix intercepteurs promis à la Pologne auraient été incapables de contrer les 700 missiles stratégiques qu’ils détiennent, les Russes craignent que ces capacités de défense antimissile soient augmentées ultérieurement. Un renforcement des installations américaines en Europe, appréhendent les stratèges russes, mettrait les États-Unis à l’abri des représailles de la Russie en cas d’affrontement militaire.

De plus, l’état-major russe est inconfortable avec l’emplacement des intercepteurs américains. Ceux-ci auraient eu avantage à être implantés en Turquie, un poste beaucoup plus stratégique puisqu’il a le mérite d’être mieux positionné pour défendre l’Europe contre une attaque iranienne et qu’il place les missiles balistiques russes hors de portée des antimissiles américains. Le Pentagone a également décliné la proposition de la Russie invitant les États-Unis à utiliser une station radar située en Azerbaïdjan afin d’effectuer conjointement avec les militaires russes leurs opérations de détection. L’obstination des États-Unis à vouloir sceller un rapprochement avec d’anciens alliés de l’URSS témoigne, selon Moscou, des mauvaises intentions des Américains.

La fermeté de la Russie envers les États-Unis s’inscrit dans le contexte de la détérioration des relations entre les deux pays depuis quelques années. L’opposition de Moscou au projet de bouclier antimissile s’ajoute à la longue liste des récriminations de la Russie ignorées par les États-Unis, notamment au sujet de la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo et des négociations avec l’Ukraine et la Géorgie entourant leur intégration à l’OTAN.

Le programme Aegis : un répit temporaire pour la Russie ?

Commentant sa décision de suspendre le projet de bouclier antimissile en Europe, le président Obama s’est défendu d’avoir capitulé devant les menaces de représailles de la Russie, une allégation qu’il est permis de croire. Contrairement à ce que prétendent les détracteurs du chef d’État américain, la capacité d’intimidation de la Russie face aux États-Unis reste limitée. Le pouvoir de persuasion du Kremlin dans le dossier du désarmement de l’Iran constitue une monnaie d’échange plutôt faible pour les Russes : en privant Téhéran de son soutien technique et en entérinant les sanctions décrétées par l’ONU, la Russie peut certainement ralentir le programme nucléaire du gouvernement iranien, sans toutefois pouvoir l’abolir complètement.

La volte-face des États-Unis repose donc sur des considérations plus pragmatiques. En sabrant dans le projet GMD, l’administration Obama abroge un programme qui a englouti plus de huit milliards de dollars par année, ce qui en fait le programme d’armement le plus dispendieux de la défense américaine. Elle met fin à une initiative qui déplaît à 60 % des citoyens de la République tchèque et qui n’a toujours pas reçu l’aval du parlement polonais. Les États-Unis renoncent, pour le moment, à un appareil de défense destiné à se prémunir contre une menace qui ne s’est pas matérialisée, sachant que les intercepteurs basés en Alaska et en Californie formeraient une première ligne de défense contre une hypothétique attaque iranienne.

Cependant, le gouvernement américain pourrait avoir décidé d’apaiser les doléances de la Russie afin de gagner du temps. En effet, le secrétaire à la Défense a dévoilé l’échéancier du programme de défense Aegis qui, à terme, pourrait raviver les inquiétudes de la Russie. La marine américaine entend déployer sept navires armés d’une centaine de missiles SM-3 d’ici 2018. Bien qu’il soit plus performant et moins vulnérable aux frappes préemptives que le GMD, le système Aegis possède toutefois un rayon d’action limité et nécessite un entretien dispendieux : maintenir en activité trois escadres dans les eaux européennes coûterait au trésor américain presque deux fois plus cher que le défunt GMD. Les responsables américains souhaitent donc remédier à cette lacune en fixant des batteries d’intercepteurs SM-3 au sol d’ici 2015. Les autorités de la Pologne et de la République tchèque ont été avisées qu’elles seront les premières à être consultées à cet égard. La Géorgie pourrait également être sollicitée pour abriter une station radar. Cette option moins onéreuse soulève par conséquent des problèmes politiques semblables à ceux qui ont eu raison du GMD en Europe.

Dans l’intervalle, le Pentagone a indiqué que les recherches sur le GMD se poursuivront et que d’autres projets de défense antimissile stratégique sont sur les planches à dessin des ingénieurs américains. En définitive, l’arrimage de l’appareil Aegis aux technologies plus éprouvées du GMD d’ici dix ans doterait les États-Unis d’un formidable système de défense, plus mobile et plus difficile à déjouer, ce qui pourrait faire regretter la récente décision américaine à la Russie.

Par Charles Benjamin
Professeur de science politique au Cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu

Mots-clés : Points de mire
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