En janvier 2009, le Secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, a présenté, au siège de l’Alliance, les priorités fixées par les membres et les instances de l’organisation. Lors de la commémoration du 60e anniversaire de l’Alliance atlantique (Strasbourg / Kehl en avril 2009), une déclaration sur la sécurité de l’Alliance a été adoptée, qui ouvre la voie à une réflexion parmi les États membres pour la définition d’un « nouveau » concept stratégique. Cet événement voit également acté le retour de la France en tant qu’État participant aux structures militaires intégrées de l’organisation, qu’elle a quittées en 1966 tout en restant membre fondateur de l’Alliance atlantique.
Une déclaration cache-sexe
Une déclaration sur la sécurité de l’Alliance s’inscrit dans la voie tracée par la Directive Politique Globale et de la déclaration de Bucarest, c’est-à-dire avoir une portée déclaratoire visant à cacher les difficultés politico-militaires rencontrées par les Alliés dont le théâtre afghan n’est qu’un révélateur. Comme les livres blancs nationaux en matière de défense et de sécurité, le contenu peut également avoir un usage communicationnel à destination des autres pôles de puissance. « Signal envoyé » par un groupe d’États dans un secteur politique donné, celui de la sécurité et la défense par exemple, ces documents ont vocation à s’étendre aux entités multilatérales, aux États alliés et partenaires, jusqu’aux entités tierces voire « ennemies ». Ainsi, la déclaration en question rappelle les valeurs partagées par les Alliés, la création d’un vaste réseau de partenaires à l’échelle globale sans pour autant avoir vocation à jouer « au gendarme du monde ». La définition des missions futures de l’OTAN donnera matière à dispute. En effet, des dissensions à Bucarest en avril 2008, la révision en décembre 2008 de la Stratégie européenne de sécurité, et la généralisation de la Comprehensive Approach à toutes les missions de l’OTAN, révèlent la persistance de tous les symptômes d’oppositions entre Nord-américains et Européens, entre pro-OTAN et pro-PESD. Présentant classiquement des valeurs et des repères, la déclaration sur la sécurité de l’Alliance ne brille pas par son originalité – ce qui n’était pas d’ailleurs l’objectif – laissant le champ libre à la réflexion suivant les axes « principes/méthode » et « bilan/perspectives » au futur concept stratégique tout en rappelant les fondamentaux.
Vers un concept stratégique low cost ?
Certains ingrédients d’un concept low cost sont déjà perceptibles : une situation économique et financière internationales conduisant certains États membres à prioriser une relance de leur économie nationale, creusant ainsi leurs déficits publics, et donc peu enclins à maintenir leurs prévisions budgétaires pour le secteur de la défense ; des programmes militaires reportés voire annulés et non des moindres, puisque le projet d’A-400M pourrait ne pas voir le jour et, donc une pérennisation de SALIS (Strategic Airlift Interim Solution). La directive politique globale a ciblé plusieurs secteurs dans lesquelles les Alliés doivent progresser afin de combler le sempiternel « fossé capacitaire ». À celles-ci s’ajoutent alors les capacités nécessaires pour réaliser, ce qui sera identifié comme les nouvelles missions de l’OTAN.
Un énième « nouveau concept » stratégique n’est pas, en l’état actuel de l’OTAN, nécessaire. Le concept de 1999 offre une souplesse suffisante pour faire face aux défis urgents, notamment l’Afghanistan. À tout le moins, un tel document pourrait attendre une amélioration de la situation en Afghanistan. Les deux mandats de George W. Bush ont eu pour points positifs de mettre en évidence la flexibilité d’interprétation de l’actuel Concept de Stratégique. Si jusque-là les traductions militaires des objectifs ont dominé les discussions entre Alliés, cette flexibilité doit prendre une voie ostensiblement politique en mettant en retrait le rôle de l’OTAN au profit d’organisations multilatérales tout en impliquant les États voisins, et notamment le Pakistan.
Par ailleurs, un moratoire sur les élargissements envisagés permettrait aux derniers arrivants de mettre leurs forces armées à niveau (et de transformer) dans des délais raisonnables, et éviterait l’importation de sources supplémentaires de conflits et d’obstacles dans les relations OTAN-Russie. En parallèle, un véritable partenariat avec la Russie doit être établi afin de mener à termes les missions au Kosovo et en Afghanistan. Enfin, l’implication de l’OTAN dans les aspects civils de la gestion de crises doit se faire en partenariat avec l’Union européenne, laquelle dispose des capacités nécessaires. Au besoin, un arrangement de type « Berlin plus inversé » peut être signé entre l’OTAN et l’UE ; cette derniere mettrait ainsi à la disposition de la première ses capacités civiles en des termes similaires que l’accord militaire technique de 2003.
Alors que les différents analystes parlent de « nouvelles missions », « nouveaux défis », nul ne peut dire ce que ces défis et missions recouvrent et en quoi l’OTAN est la mieux placée pour y faire face. Avant de conférer d’étendre ses missions, il serait opportun de se demander s’il n’existe pas un forum politique ou une institution multilatérale déjà compétente en la matière (G8, ONU, etc...) ou si une action bilatérale/multilatérale n’est pas plus appropriée. Ainsi, les questions liées à la sécurisation de l’approvisionnement énergétique, les conséquences des changements climatiques supposés, et la cyberguerrre risquent de créer des tensions entre les échelons nationaux et multilatéraux (confidentialité vs. partage d’information, forces de polices et forces armées, par exemple) ou des crispations inter-organisationnelles (OTAN vs. HCR ou OTAN vs. G8 ; OTAN vs. ONU).
Un autre aspect de la prochaine déclaration sur la sécurité de l’Alliance et du « nouveau » concept de l’OTAN doit, par ailleurs, être présent à l’esprit des observateurs et analystes : ces documents seront également des outils de communication. Depuis l’intervention des Alliés au Kosovo, l’instrument communicationnel connu sous le vocable « diplomatie publique » est partie intégrante de la stratégie de l’OTAN en vue de promouvoir l’action de celle-ci par la compréhension, l’information et l’influence des opinions publiques tant étrangères qu’alliées. Dans un contexte de conflits, elle peut prendre la forme de désinformation qui se traduit par l’émission de fausses informations qui reflètent le point de vue partial et relevant d’actions idéologico-culturelles en faveur des « valeurs » identifiées ou d’un mode particulier de vie.
Sur la plupart des théâtres où elle est présente, la puissance de feu des forces mises à disposition de l’OTAN ne fait aucun doute. S’il est confirmé que les missions futures de l’OTAN engageront ses forces à en présence de situations asymétriques/dissymétriques, la supériorité écrasante sur les insurgés ou les combattants ennemis ne suffiront pas. La « bataille pour le cœur et les esprits » ne se limite plus aux opinions publiques locales mais doit être menée également au sein des sociétés civiles occidentales. Une déclaration sur les enjeux de sécurité ou un nouveau concept de l’Alliance entre également dans la campagne de communication, destinées à influencer l’opinion nationale et internationale, et surtout et avant tout occidentale et alliée.
À Bucarest en 2008, les dirigeants de l’OTAN ont reconnu l’importance « d’une communication appropriée, souple, précise et menée en temps opportun avec les publics locaux et internationaux s’agissant des politiques de l’OTAN et de son engagement dans des opérations internationales ». Si l’impact réel d’une diplomatie publique ou communicationnelle est difficilement mesurable, un échec ou des dissensions trop fortes concernant le futur concept stratégique risquent de porter atteinte à la crédibilité de l’OTAN et d’envoyer un signal de faiblesse aux partenaires et aux « ennemis » dans la région de l’Asie centrale.
Retour de la France dans les commandements militaires otaniens : Quadrature du cercle autonomie stratégique - défense européenne - solidarité transatlantique.
À Strasbourg/Kehl, les autorités françaises ont officialisé la reprise par la France de toute sa place dans les commandements militaire de l’OTAN. Si le Secrétariat de l’OTAN et les Alliés s’en félicitent – ainsi que Russie, mais pour des raisons différentes – la classe politique française est au mieux sceptique, et au pire, parle de « défaite pour la France » et dénonce un courant d’influence désireux de porter atteinte à l’indépendance par l’entrée dans l’orbite d’influence américaine.
L’héritage du général de Gaulle est d’autant plus difficile à gérer que, si elle s’est toujours inspirée de principes clairement affichés, sa politique les a toujours appliqués en fonction de circonstances évolutives. Ce pragmatisme éclairé a permis à ses successeurs, en dépit des regrets et états d’âme de ses Alliés et des adversaires politiques, de paraître toujours en prise sur la réalité. Cette flexibilité intellectuelle a rendu possible par les dirigeants français la quadrature du cercle stratégique indépendance nationale/défense européenne autonome/solidarité transatlantique.
Avec une France au sein de commandements militaires de l’OTAN, le défi du renforcement de l’autonomie stratégique de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) reste entier en ce que son principal porte-parole se trouverait taxer de double-jeu par les pro-OTAN ou de fossoyeur par les pro-PESD. Dans les deux cas, sa loyauté risque d’être mise en doute, à moins que la France entende abandonner la ligne autonomiste de la PESD. Par ailleurs, l’apport doctrinal d’une telle participation française reste discutable. En effet, depuis 1999, la France et les principales puissances militaires occidentales participent en tant que membre de plein exercice à une structure informelle, le Multinational Interoperability Council (MIC), réelle moteur de la réflexion stratégique des opérations militaires de demain, reléguant l’OTAN au rôle de mise à niveau des forces armées des États membres les plus récents.
Longtemps fondés sur une volonté d’autonomie é trop ambitieux aux yeux de certains, les choix du Président français sont ni bons ni mauvais ; cette décision politique s’inscrit dans un contexte de redéfinition de la réflexion militaire et stratégique française ; et il est utile de se souvenir qu’en politique, il ne s’agit pas tant de faire ce qui est militairement possible que de rendre possible ce qui est jugé politiquement nécessaire.
Par Samir Battiss
Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes