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Des mythes tenaces : En matière de politique étrangère, le Canada a réussi à bâtir une série de mythes qui ont contribué au maintien de l’unité nationale


La Presse
Forum, mardi 27 mars 2007, p. A31
Des mythes tenaces
En matière de politique étrangère, le Canada a réussi à bâtir une série de mythes qui ont contribué au maintien de l’unité nationale

Le Canada est le pays qui bénéficie de l’influence internationale la plus positive dans le monde, devançant de peu le Japon, l’Union européenne et certains de ses États membres. Il est également le pays dont la population se perçoit le plus favorablement, davantage même que les Chinois, qui vivent pourtant dans un pays marqué par une forte propagande quant à la politique étrangère de leur gouvernement. Ce sont là les résultats d’un récent sondage publié par la BBC, qui n’ont cependant rien de nouveau, le Canada ayant déjà occupé la tête du peloton, il y a deux ans de cela, selon le même sondage.
Que signifient ces résultats ? Ils marquent la consécration des mythes nationaux canadiens. Ils sont effectivement le reflet de la double fonction qu’exercent les mythes au Canada, soit celle de contribuer à l’unité nationale et à la distinction internationale du pays. Cela nonobstant le fait que les mythes qui animent la société canadienne en matière de politique étrangère sont fondés sur une série d’inexactitudes historiques.
Une image mensongère
Les explications fournies par les spécialistes de la politique étrangère canadienne afin de donner sens aux résultats du sondage publié par la BBC témoignent de la force de certains mythes au Canada. Le Canada bénéficierait ainsi d’une telle perception positive parce qu’il n’est pas belliqueux, qu’il prône un "multiculturalisme pacifique ", qu’il n’a jamais colonisé ni envahi d’autres pays, et qu’il dispose d’une indépendance vis-à-vis des États-Unis, dont la réputation internationale n’est pas enviable.
Cette image, bien qu’attrayante et fortement entretenue parmi les Canadiens, est cependant erronée. Les Canadiens ne sont pas tout à fait, comme le veut le mythe, un peuple "non militaire " abhorrant le recours à la force, et leur pays n’est pas un " paisible royaume ". Depuis sa création en 1867, le Canada a participé à sept guerres à l’étranger. Depuis l’acquisition de son indépendance en 1931, cela fait en moyenne une guerre tous les 15 ans, les plus récentes étant celles contre l’Irak, en 1990-91, contre la Serbie, en 1999, et contre l’Afghanistan, en 2001. Le Canada se révèle ainsi être parmi les pays les plus belliqueux du monde !
Cela se pose en parfaite contradiction avec un second mythe entretenu par plusieurs Canadiens, celui que le Canada est le " champion du maintien de la paix ". En fait, depuis près de deux décennies maintenant, la participation canadienne aux opérations de paix de l’ONU n’a cessé de diminuer. Le Canada se classait, en janvier dernier, au 59 e rang des principaux contributeurs. Bien que l’opinion publique canadienne appuie largement les opérations de maintien de la paix, force est de constater que le Canada a progressivement laissé de côté ce rôle en faveur d’opérations menées par l’OTAN ou par des coalitions de pays volontaires (comme en Haïti, en 2004, et en Afghanistan, de 2001 à 2003).
Des mythes au service de l’identité nationale
Pourquoi de telles images perdurent-elles parmi les Canadiens ? La force des mythes nationaux tient à trois facteurs : les justifications de la part des élites (politiques, médiatiques et universitaires) ; une acceptation populaire ; et une reconnaissance internationale. Parce que les opérations militaires canadiennes ont pour la plupart du temps été justifiées en des termes qui plaisent aux Canadiens (grâce au symbole de gardien de la paix et celui de la "reconstruction", par exemple), et ce bien qu’elles aient souvent été loin d’en être l’expression véritable, les opérations militaires canadiennes ont été comprises comme étant le reflet de la nature distinctement pacifique des Canadiens.
Les mythes nationaux ont ainsi servi à une double fonction identitaire : celle d’unir les communautés francophone et anglophone, profondément divisées en ce qui a trait à l’usage de la force lors des deux conflits mondiaux, autour de symboles communs articulés depuis les années 1960 ; et celle de distinguer le Canada de son puissant voisin du Sud.
En dépit du fait que plusieurs Québécois se perçoivent comme un peuple distinct du reste du Canada, lorsqu’il est question de politique étrangère, ils appuient sans réserve les mythes associés à la "distinction" canadienne (vis-à-vis des États-Unis). Ils sont de fervents supporteurs du maintien de la paix (au point de vouloir faire de ce type de mission la principale tâche des forces armées québécoises advenant l’indépendance de la province) et sont parmi les plus critiques des opérations militaires divergeant de ce rôle, ce dont témoignent les sondages sur la guerre en Afghanistan. Au cours de l’année 2006 par exemple, l’appui populaire à la mission canadienne à Kandahar n’a jamais dépassé la barre des 43% chez les Québécois, atteignant par contraste jusqu’à 58% parmi les Canadiens hors Québec.
En ce qui a trait à d’autres enjeux de politique étrangère qui ont servi à souligner la "distinct ion" canadienne face aux États-Unis, les Québécois ont appuyé en très grande majorité la décision de ne pas participer ni à la guerre contre l’Irak, ni au projet de défense antimissile américain.
Les mythes canadiens en matière de politique étrangère ont donc servi, malgré leur inexactitude factuelle, à renforcer l’unicité nationale canadienne autour de symboles identitaires communs, et à promulguer la différence canadienne grâce à des discours teintés d’un faux pacifisme. Si cela souligne le succès relatif de la construction d’une identité nationale canadienne, elle rend encore plus ardue l’affirmation d’une distinction proprement québécoise en la matière. En se positionnant comme champion du maintien de la paix et défenseur d’un pacifisme vertueux, le Canada a peut-être réussi à couper l’herbe sous le pied des souverainistes voyant là l’expression d’une distinction québécoise, et non pas canadienne.
L’auteur est candidat au doctorat à Queen’s University et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangères et de défense canadiennes.

Illustration(s) :
La gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, en visite à Kaboul, le 8 mars dernier.
Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales
Taille : Long, 712 mots
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Doc. : news·20070327·LA·0114

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