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Les Casques bleus canadiens : une espèce en voie de disparition

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Le Devoir
IDÉES, lundi 29 mai 2006, p. a7

Les Casques bleus canadiens : une espèce en voie de disparition

Charles Létourneau ; Justin Massie

Le 29 mai marque la Journée internationale des Casques bleus, décrétée par l’ONU il y a trois ans. Le Canada a de quoi fêter l’événement. Plus de 100 000 Canadiens ont servi, à un moment ou à un autre depuis plus de 50 ans, dans le cadre d’opérations de maintien de la paix des Nations unies.

Cependant, depuis plus de 15 ans, une confusion croissante se constate au sein de la population canadienne quant au rôle des Forces canadiennes (FC) sur la scène internationale. Une majorité de Canadiens s’opposent à un rôle musclé de leurs forces armées et préfèrent qu’elles opèrent sous un mandat de l’ONU, alors que l’engagement international du Canada s’effectue de plus en plus sans mandat onusien et au sein d’opérations de combat. Le Canada se situe aujourd’hui au 50e rang des pays contributeurs de Casques bleus, loin derrière le Pakistan et le Bangladesh.

Cette confusion culmine actuellement avec l’engagement en Afghanistan. Un sondage du Strategic Counsel effectué en mars dernier révèle qu’environ 70 % des Canadiens pensent que la mission des FC à Kandahar est le maintien de la paix (76 % au Québec), alors qu’il s’agit d’une mission de guerre, dont l’objectif est de contrer les insurgés talibans liés à al-Qaïda.

D’où vient cette confusion ? Les dirigeants politiques ont systématiquement entretenu une image des FC qui contraste avec la réalité. Ils ont justifié des interventions militaires canadiennes sous des principes d’aide humanitaire et de maintien de la paix, alors que ces rôles ne représentent qu’une infime proportion de leurs tâches.

Une ambiguïté entretenue

À l’époque de la guerre froide, les militaires se déployaient entre des parties belligérantes pour superviser un accord de cessez-le-feu préalablement négocié. Ils n’ouvraient le feu qu’en situation de légitime défense. En 1990, 10 % des Casques bleus mondiaux provenaient du Canada. Leur travail était apprécié par la communauté internationale, et la population canadienne approuvait massivement ce rôle.

Les années 1990 ont marqué le début d’un schisme entre la croyance populaire et la réalité. Pendant que les militaires se déployaient de moins en moins dans des opérations de maintien de la paix, les gouvernements canadiens ont tout de même justifié leurs interventions de cette manière. Ce fut le cas pour les opérations en Somalie et en ex-Yougoslavie.

Plusieurs éléments différenciaient cependant ces missions de celles qui avaient eu lieu auparavant : les militaires appuyaient dorénavant une faction et avaient l’autorisation d’ouvrir le feu pour imposer leur mandat. Malgré ces différences flagrantes, le premier ministre Brian Mulroney affirma qu’il s’agissait d’opérations de maintien de la paix.

Jean Chrétien utilisa la même stratégie. Il qualifia les missions des militaires canadiens en Bosnie (1995-2004) comme étant du maintien de la paix, alors que ce n’était pas le cas. Il utilisa la même rhétorique pour expliquer l’engagement du Canada en Afghanistan en octobre 2001, alors que les FC avaient pour mandat de parcourir les montagnes afghanes pour combattre les talibans.

Paul Martin accrut également l’ambiguïté autour du rôle des militaires canadiens. Il prit la décision de retirer les militaires de Kaboul, où ils opéraient sous l’égide de l’OTAN, pour les déplacer à Kandahar, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom dirigée par les États-Unis. M. Martin expliqua que le rôle des FC consistait à « reconstruire » l’Afghanistan, à porter la paix et à « faciliter la réforme du secteur de la sécurité ». Ces euphémismes ne permirent pas aux Canadiens de comprendre que leur pays était désormais engagé, à Kandahar, dans des opérations de combat contre les insurgés afghans.

La confusion persiste

Malgré les efforts du gouvernement Harper en vue d’expliquer aux Canadiens les « vrais enjeux » de la mission à Kandahar, l’ambiguïté demeure. Les visites respectives du premier ministre et du ministre des Affaires étrangères en Afghanistan, les débats historiques à la Chambre des communes, le vote controversé du 17 mai et l’importante couverture médiatique des derniers mois n’ont pas suffi à éclairer les Canadiens quant au nouveau rôle de leur pays. Non seulement la mission est-elle toujours incomprise, mais 54 % des Canadiens s’opposent dorénavant au maintien des troupes en Afghanistan.

L’écart croissant entre ce que les Canadiens veulent que leur pays joue comme rôle et celui véritablement effectué par le Canada ne cesse de croître. Environ 169 militaires canadiens sont actuellement engagés au sein d’opérations de paix de l’ONU, comparativement aux 2300 soldats déployés au sein de l’opération antiterroriste en Afghanistan. Harper a tout récemment mis fin à la contribution canadienne aux forces des Nations unies sur le plateau du Golan, en Syrie, et les ressources militaires limitées du Canada ne permettront pas un engagement substantiel au Darfour, où une crise humanitaire persiste depuis plusieurs années.

Alors que les gouvernements confèrent depuis les 15 dernières années un nouveau rôle aux militaires canadiens sur la scène internationale, la population n’en connaît toujours pas la nature exacte. À en croire les décisions des dirigeants politiques, et non pas leurs discours, les Canadiens ne doivent pas espérer voir leurs militaires effectuer du maintien de la paix dans les années à venir. La lutte contre le terrorisme constitue désormais le nouveau rôle - plus offensif et plus guerrier - des Forces armées canadiennes sur la scène internationale.

*** Les auteurs sont chercheurs à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes de l’Université du Québec à Montréal et associés au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal.

Charles Létourneau : Chercheur

Justin Massie : Chercheur

Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales ; Conflits armés
Type(s) d’article : Opinion
Taille : Moyen, 668 mots

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