JE DONNE
Accueil > Publications > Le Canada en Afghanistan Du maintien de la paix à la zone de guerre

Le Canada en Afghanistan Du maintien de la paix à la zone de guerre

,

Le Devoir
IDÉES, mercredi 1 mars 2006, p. a7

Le Canada en Afghanistan
Du maintien de la paix à la zone de guerre

Charles Létourneau ; Justin Massie

Les soldats canadiens ont officiellement pris le contrôle d’une province de l’Afghanistan vendredi dernier pour y diriger les forces antiterroristes. Ceci signifie que les Canadiens n’agissent plus sous mandat de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) de l’OTAN mais bel et bien aux côtés des Américains dans le cadre de l’opération Enduring Freedom. Si ce changement n’a pas eu beaucoup d’échos dans les médias - ni même pendant la campagne électorale -, ses conséquences sont néanmoins très importantes.

Alors que les Forces canadiennes avaient jusqu’à présent le mandat de patrouiller les rues de Kaboul afin d’éviter tout débordement, elles ont maintenant le feu vert pour prendre le contrôle d’une très grande province de l’Afghanistan, Kandahar. L’opération se déroule actuellement dans une zone beaucoup plus hostile que la précédente, et les militaires s’attendent à rencontrer davantage d’opposition qu’auparavant. En d’autres mots, les Forces canadiennes devront s’engager dans des missions plus dangereuses où elles feront la guerre et non du maintien de la paix.

Comme l’a souligné Bill Graham, ex-ministre de la Défense, les Forces canadiennes risquent de subir des pertes humaines plus élevées qu’à Kaboul. Les Canadiens doivent comprendre que les militaires ne sont pas déployés dans une opération traditionnelle de maintien de la paix (ces opérations étant généralement déployées sous mandat de l’ONU dans une zone tampon et avec l’accord des parties belligérantes) mais bien dans une zone de guerre où ils devront ouvrir le feu sur les insurgés.

Ne pas trop en parler

Il faut dire que les décideurs politiques ne font pas des pieds et des mains pour en informer la population puisque celle-ci préfère de beaucoup (dans une proportion de 87 %, selon un sondage Ipsos-Reid mené en octobre dernier) voir ses forces armées jouer un rôle de médiateur plutôt que de guerrier.

En plus d’être dangereuse, cette opération ne jouit pas d’un appui populaire aussi important que les missions antérieures des Forces canadiennes. Un sondage Strategic Counsel-CTV-Globe and Mail révélait vendredi que 62 % des Canadiens sont contre le déploiement des Forces canadiennes dans ce pays. Cette proportion augmente à 76 % si on isole l’opinion publique québécoise.

Cette réticence manifeste des Canadiens explique peut-être pourquoi les autorités politiques ne tiennent pas mordicus à expliquer à la population ce que leurs militaires font concrètement à Kandahar. Les Canadiens montrent ainsi clairement leur persistance à préférer l’engagement du Canada dans des opérations de paix traditionnelles plutôt que dans des interventions plus musclées.

Rien de nouveau

Même si le gouvernement conservateur de Stephen Harper est jugé plus favorable aux politiques américaines, il est primordial de souligner que la participation du Canada aux opérations unilatérales des États-Unis en Afghanistan ne provient pas de son gouvernement. C’est à Paul Martin que revient la décision de déployer plus de 2200 soldats canadiens aux côtés des troupes américaines. Le gouvernement Harper ne fait donc que poursuivre la stratégie des libéraux lorsqu’il affirme qu’il engagera encore plus le Canada dans la lutte contre le terrorisme.

En prenant le contrôle d’une grande province de l’Afghanistan, le Canada poursuit donc sa stratégie post-11 septembre 2001 de lutte contre le terrorisme aux côtés des États-Unis. Rien de nouveau à ce titre, sauf peut-être, est-il à espérer, le courage de la part des conservateurs d’exprimer clairement à la population canadienne qu’il ne s’agit ni d’une nouvelle initiative de leur part ni d’une opération militaire traditionnelle pour le Canada.

Charles Létourneau : Chercheur à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennesde l’Université du Québec à Montréal et associé au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal

Justin Massie : Chercheur à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennesde l’Université du Québec à Montréal et associé au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal

Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Défense nationale et armée ; Conflits armés
Type(s) d’article : Opinion
Taille : Moyen, 489 mots

© 2006 Le Devoir. Tous droits réservés.

Partager sur :

Dernières publications