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Chroniques de l’Agenda 2030

Le braconnage explose dans les zones de conflits en Afrique. Le droit international doit intervenir

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Connue pour son extraordinaire biodiversité et confrontée à une crise sécuritaire causant d’énormes pertes de sa faune et de sa flore, l’Afrique est menacée par l’explosion du braconnage, amplifié par le trafic illicite des espèces sauvages.

En République centrafricaine (RCA) et en République démocratique du Congo (RDC), les éléphants sont les cibles des braconniers. D’autres animaux, comme les pangolins, les rhinocéros, les Okapis sont menacés en RDC.

On chasse l’éléphant pour son ivoire, le pangolin pour ses écailles, le rhinocéros pour ses cornes et l’okapi tant pour sa viande que pour sa peau, sa graisse et ses os.

Ce crime de braconnage rapporte des gains énormes, évalués à 20 milliards d’euros par an.

Les pangolins font l’objet d’un braconnage intense pour leur viande, mais aussi pour leurs écailles, qui servent à décorer des objets ou comme ingrédient de certaines médecines traditionnelles.

Notre travail en tant que membre de l’Observatoire sur l’Agenda 2030 des Nations unies de l’Université du Québec à Montréal, réalisé en collaboration avec le juriste Flagauthier Mujinga wa Mwenze nous permet d’observer que la lutte au braconnage en zones de conflits pourrait être mieux encadrée par le droit international humanitaire.

Une biodiversité mise en péril

Située au cœur de l’Afrique, la République démocratique du Congo (RDC) abrite la plus grande forêt de l’Afrique, le deuxième plus grand bassin tropical au monde (bassin du Congo). Elle comporte une biodiversité d’une valeur universelle exceptionnelle.

Or, cette biodiversité est mise en péril du fait des crises sécuritaires persistantes. La plus récente a été déclenchée en 2022 avec l’invasion des rebelles du Mouvement du 23 Mars, appelé M23, dans l’Est de la RDC.

Le plus vieux parc de l’Afrique, le parc National des Virunga, est menacé par la résurgence des rebelles du M23 qui l’occupent. Ces derniers pratiquent non seulement le braconnage, mais aussi la déforestation par les activités agricoles et la fabrication du charbon de bois.

Depuis 2022, en moyenne 40 camions, chargés chacun de 150 sacs de charbon de bois sauvage entrent chaque jour dans la ville de Goma, générant des revenus évalués à près de 1,7 million de dollars par mois, selon les associations écologistes locales.

En 2023, un collectif d’ONG a alerté le gouvernement congolais sur le sort du Parc national des Virunga détruit par les rebelles du M23, qui s’en prennent aux animaux.

La parc national des montagnes Virunga, en République démocratique du Congo, est le plus ancien parc national d’Afrique.

En République centrafricaine (RCA), l’histoire est marquée par des transitions politiques violentes. Quatre des cinq présidents de ce pays ont quitté le pouvoir par la force.

Lors de ces affrontements, les ONG ont dénoncé « l’exploitation illégale de ressources naturelles par des groupes armés (centrafricains ou étrangers) » dans les zones protégées et la responsabilité des éleveurs transhumants dans le trafic illégal transfrontalier de ressources naturelles.

Des dommages « étendus, durables ou graves »

La Convention de 1976 sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement, appelée Convention ENMOD, proscrit l’usage de techniques provoquant délibérément des changements à l’environnement à des fins militaires ou hostiles au progrès humain.

Chaque État partie à la convention s’engage à ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyens de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre État partie.

Qu’entend-on par effets « étendus, durables ou graves » ? « Étendu » signifie une superficie de plusieurs centaines de kilomètres carrés. « Durable » correspond à plusieurs mois ou environ une saison et « grave » s’entend comme une perturbation ou un dommage sérieux ou marqué pour la vie humaine, les ressources naturelles et économiques ou d’autres richesses.

La définition de ces effets nous semble trop limitative. Une étendue réduite à moins de cent kilomètres carrés, une durée de moins d’un mois et des précisions sur ce qu’on entend par dommage sérieux pourraient maximiser la protection de l’environnement.

Voici la carte des pays signataires de la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (ENMOD). (Wikipedia)

Soulignons également que le champ d’application de la Convention ENMOD est restreint du fait que la plupart des pays de l’Afrique centrale ne l’ont pas ratifié.

La RDC l’a fait, mais pas la RCA.

Un protocole original, mais pas ratifié par tous

Le Protocole 1 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux propose des dispositions explicites sur la protection de l’environnement.

Ce protocole apparaît au premier abord comme étant original puisque pour la première fois un instrument juridique de droit international humanitaire promeut la protection de l’environnement en cas de conflits armés à travers deux approches, écocentrique et anthropocentrique. Si l’approche écocentrique met la nature au cœur de la protection de l’environnement, l’approche anthropocentrique cible l’humain en promouvant la protection de l’environnement.

En effet, son article 35 se focalise sur la protection de l’environnement naturel en interdisant l’utilisation des méthodes ou moyens de guerre pouvant y causer des dommages étendus, durables et graves. En plus de viser la protection de l’environnement naturel, l’article 55 veille à la survie et à la santé des populations pouvant être mises en danger par la destruction de l’environnement naturel du fait de l’emploi des méthodes ou moyens de guerre.

Les nécessités militaires justifiant le recours légal à la violence dans un conflit armé ne font pas partie du Protocole I. Ceci est avantageux : quelles que soient les exigences de la guerre, les États parties sont tenus de ne pas recourir à des méthodes ou moyens de guerre « dont on peut attendre qu’ils causent, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».

Contrairement à la Convention ENMOD, le protocole a été ratifié par 174 États parties. Cette large adhésion doit toutefois être nuancée. Parmi les États ne l’ayant pas ratifié, certains sont impliqués dans les conflits armés internationaux impactant négativement sur l’environnement. Mentionnons notamment l’Inde, Israël et le Pakistan. L’adhésion de ces États est nécessaire pour élargir la couverture géographique de ce Protocole.

Amender le Statut de Rome pour introduire l’écocide

Quant au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, son article 8 sur les crimes de guerre condamne la commission de dommages « étendus, durables et graves à l’environnement » lors d’un conflit armé. Mais il est limité aux conflits armés internationaux et fixe un seuil du dommage prohibé sans que ces critères ne soient définis.

Les travaux sur l’amendement du Statut de Rome en vue d’introduire le crime d’écocide pourraient avoir un impact positif dans l’encadrement juridique du braconnage dans les zones de conflits.

Tenir compte des conflits armés au sein d’un pays

La lutte contre le braconnage dans les zones de conflits est faiblement encadrée en droit international humanitaire.

Il faudrait d’abord prévoir des dispositions protectrices de l’environnement en cas des conflits armés non internationaux.

Par ailleurs, la faible ratification de certains accords (Convention ENMOD) et la non-ratification par des États impliqués dans les conflits internationaux empêchent une large application de ces instruments juridiques du droit international humanitaire.

Il serait également souhaitable de faire des ajustements dans la Convention ENMOD : revoir les seuils de l’étendue et de la durabilité des effets des dommages causés par les modifications de l’environnement, et apporter des précisions sur ce qu’on entend par « dommage sérieux ».

Il s’avère impérieux de renforcer cet arsenal juridique à travers un engagement solide des États, des organisations internationales et des ONG internationales.

 

Voyez l’article originale : https://theconversation.com/le-braconnage-explose-dans-les-zones-de-conflits-en-afrique-le-droit-international-doit-intervenir-237607

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