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Revue Interventions économiques

D’un régionalisme à l’autre : intégration ou interconnexion ?

55 | 2016


La vague actuelle de négociations commerciales ne manque pas d’étonner les observateurs. Il en fut de même après la Seconde Guerre mondiale lorsque, animés par un esprit de coopération et de rapprochement, les pays d’Europe, d’Amérique latine et de l’Afrique au lendemain des indépendances, s’engagent dans de grands projets d’intégration régionale, au grand dam, d’ailleurs, des défenseurs du multilatéralisme et de l’ouverture universelle des marchés. Les progrès sont bien relatifs d’une région à l’autre, mais les années 1980 semblent sonner le glas de l’intégration régionale : la crise de la dette avait mené nombre de pays en développement dans une impasse économique, l’Europe communautaire était traversée par le doute et le scepticisme et tous les regards se tournaient vers les marchés mondiaux, nouvel Eldorado de la croissance. Pourtant, il fallut rapidement se rendre à l’évidence : l’Europe puis, à son tour, l’Amérique latine affichaient de nouvelles ambitions, les accords de libre-échange longtemps négligés se multipliaient de toutes parts, à commencer entre les pays du Nord et ceux du Sud, et, plus étonnant encore, ce n’était plus l’Europe qui donnait le ton, mais les États-Unis, chefs de file autoproclamés d’un régionalisme qu’on qualifia prestement de « nouveau ». Heureusement, pouvait-on encore se consoler à l’époque, l’Asie paraissait encore épargnée. Las, voilà qu’à son tour, l’Asie de l’Est est prise dans le mouvement, avec, au centre, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) qui accélère son intégration et aspire à devenir le pivot de l’intégration dans une région en plein bouillonnement, avec en point d’orgue cette méga-négociation, le Partenariat économique régional global (PERG), qui implique outre les dix pays de l’ASEAN, les trois grands rivaux que sont la Chine, la Corée et le Japon, ainsi que l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande1. Les États-Unis ne sont pas en reste ; ils sont engagés dans deux méga-négociations, trois si on inclut celles sur les services (Accord sur le commerce des services, mieux connu sous son acronyme anglais de TISA)2 : d’abord, le Partenariat transpacifique (PTP), une négociation conclue avec succès en octobre 2015 et impliquant douze pays, cinq des Amériques (le Canada, le Chili, les États-Unis, le Mexique et le Pérou), cinq d’Asie (le sultanat de Brunei, le Japon, la Malaisie, Singapour et le Viêtnam) et deux d’Océanie (l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ; ensuite le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTACI ou TTIP en anglais), lancé à l’initiative de l’Europe communautaire et dont les négociations ont officiellement débuté en juillet 2013. Et pour compléter le tout, ne voyons-nous pas aussi l’Afrique, inspirée par l’Asie, reprendre en mains le chantier pourtant mal en point de son intégration et suivre depuis 2013 une nouvelle feuille de route, l’Agenda 2063.

Trois grandes vagues d’accords commerciaux, donc, les uns régionaux et les autres plurilatéraux pour garder la typologie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui demandent évidemment d’être replacées dans leur contexte – chaque vague possède des caractéristiques qui lui sont propres – et analysées au regard des changements économiques, géopolitiques et technologiques apportés par la mondialisation. Cela dit, force est de constater que le neuf ne chasse pas pour autant le vieux. L’Europe, malgré la crise actuelle et les dérives néolibérales de son projet, n’a pas pour autant perdu les idéaux communautaires de son projet fondateur, ses institutions servant de garde-fous contre les tentations « souverainistes ». Que dire de l’Afrique, qui donne des leçons d’intégration à une Amérique latine en mal de renouveau, ou encore de l’ASEAN dont l’intégration va, malgré les obstacles, en s’approfondissant toujours davantage ? Il en va de même des accords commerciaux qui ont marqué la seconde vague. Malgré les nouveaux développements, ils continuent de proliférer, voire de se rapprocher toujours davantage par leur contenu de celui qui en fut le grand modèle, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Quant à celui-ci, il a beau porter son âge, il est là pour durer, quitte à lui faire passer une cure de rajeunissement une fois le PTP entré en vigueur.

Bref, il y a à la fois rupture et continuité. Rupture, dans la mesure où, d’une période à l’autre, le régionalisme prend des orientations et des formes institutionnelles différentes, suivant en cela les évolutions et les transformations de l’économie mondiale. Mais aussi continuité, dans la mesure où les institutions régionales traversent le temps, du moins celles qui parviennent à s’adapter aux réalités et aux contraintes de l’époque, avec le résultat que les accords régionaux se superposent, se croisent, s’enchevêtrent pour donner cette image bien connue d’un bol de spaghettis. Pour certains, le cheminement est méandreux, mais le résultat en est qu’en bout de ligne, les échanges se développent et les économies s’ouvrent toujours davantage, suivant en cela une sorte de fil invisible. Certes, par nature, les accords régionaux sont là pour rapprocher leurs signataires et faciliter leurs échanges, mais en même temps ce sont les États qui les signent et, dans ce sens, les accords sont toujours le reflet non seulement des intérêts et des valeurs qu’il leur revient de défendre, mais aussi des préoccupations économiques et sociales avec lesquelles ils doivent composer. De là, les débats de société que ces accords soulèvent et les multiples compromis avec lesquels les négociateurs doivent jongler. Nous n’échappons pas à ces réalités. Aussi, si, d’un point de vue scientifique, il faut s’interroger sur la façon dont les accords régionaux s’inscrivent – ou ne s’inscrivent pas d’ailleurs – dans les évolutions du monde, d’un point de vue politique nos interrogations doivent davantage porter sur les institutions qu’ils mettent en place : en quoi contribuent-elles à le rendre meilleur ?

Comprendre pour mieux agir ! Fidèles en cela à l’esprit qui anime la revue Interventions économiques depuis sa création, nous avons cherché en préparant ce numéro thématique sur le régionalisme à dégager les tendances qui se dessinent actuellement sur le front des négociations, mais aussi à rendre compte des débats de société qu’elles soulèvent. Les analyses et points de vue sont, comme le lecteur le constatera par lui-même, variés. Pour notre compte, nous allons aborder deux questions dans cette introduction. La première pourrait se résumer ainsi : comment nous en sommes arrivés aujourd’hui aux méga-accords commerciaux interrégionaux ? Quant à la seconde, elle portera sur l’Amérique latine, l’Asie et l’Afrique, trois régions du monde toujours en quête d’intégration : où en sommes-nous dans chacun des cas ? L’Amérique latine, après avoir été à la pointe d’un modèle d’intégration dit « adentro », peine aujourd’hui à renouer avec l’intégration et le rêve bolivarien de son unité. L’Asie, de son côté, paraît chercher sa propre voie d’intégration, non sans difficulté tant les enjeux stratégiques s’enchevêtrent et se confrontent. Quant à l’Afrique, elle a repris le flambeau du panafricanisme et de l’unité économique pour prendre la place qui lui revient dans l’économie mondiale. Trois expériences différentes, donc, qui méritent d’être revisitées et comparées. Commençons par la première question : quel est le chemin parcouru depuis la Seconde Guerre mondiale en matière de régionalisme et d’intégration ?

En savoir plus https://interventionseconomiques.revues.org/2680

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