Dans le conflit qui soulève les Autochtones vivant au Canada au sein du mouvement Idle no more, de nombreux enjeux sont dans la ligne de mire : l’eau potable, la protection des droits collectifs sur la terre, la gouvernance autochtone, etc. Plusieurs dispositions de ces projets de loi sont susceptibles de mener à des violations des droits ancestraux autochtones et des droits reconnus par les traités existants entre les Premières Nations et la Couronne. Le cœur du conflit est lié à la façon dont le gouvernement Harper a imposé des projets de loi omnibus sans procéder à consulter les Peuples autochtones qui seront directement affectés par les effets de ces projets de loi. Bien que le Canada ne soit pas signataire de la Convention 169 de l’Organisation du travail, qui oblige à consulter les Peuples autochtones avant d’adopter toute loi ou politique qui affecte directement les conditions de vie de ceux-ci, le Canada a une obligation juridique de les consulter dans certaines circonstances.
La Cour suprême du Canada a en effet reconnu cette obligation de consulter dans l’arrêt de principe Delgamuukw, prononcé en 1997 dans le contexte d’une revendication de titre sur des terres et des ressources. La Cour a confirmé l’existence de l’obligation de consulter et a précisé cette obligation, affirmant que son contenu variait selon les circonstances : de la simple « obligation de discuter des décisions importantes […] lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur », en passant par l’obligation nécessitant « beaucoup plus qu’une simple consultation » qui s’impose « [d]ans la plupart des cas », jusqu’à la nécessité d’obtenir le « consentement [de la] nation autochtone » sur les questions très importantes. Ces remarques s’appliquent autant aux revendications non réglées qu’aux revendications déjà réglées et auxquelles il est porté atteintes.
Le modèle de développement extractiviste prôné par le gouvernement Harper est aussi au cœur de nombreux conflits sociopolitiques dans plusieurs pays d’Amérique latine. Depuis l’adoption de réformes néolibérales dans les années 1980-90 et la hausse considérable des prix des matières premières, la plupart des gouvernements latino-américains misent essentiellement sur un développement extractiviste pour alimenter la croissance économique et s’assurer une part du gâteau par le biais des redevances. De plus en plus favorisées par les nouvelles politiques du gouvernement Harper en matière d’aide étrangère canadienne, les compagnies minières canadiennes sont des acteurs importants dans ces conflits.
En Amérique latine, le droit des Peuples autochtones à la consultation est bafoué dans la plupart des cas. La plupart de ces pays ont ratifié la Convention 169 et appuyé l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones, déclaration que le Canada a également endossée en 2010. Le Pérou est le seul pays à avoir adopté, en 2011, une loi nationale spécifique pour mettre en œuvre le droit à la consultation, à la suite d’un grave affrontement entre policiers et citoyens autochtones où 33 personnes ont trouvé la mort. Toutefois, les obstacles sont encore nombreux. Par exemple, le gouvernement ne reconnaît pas que les projets d’exploitation minière ou autre activité extractiviste approuvés après 1995, date à laquelle l’État péruvien a ratifié la Convention 169, exigeraient également la mise en œuvre du droit à la consultation, et non pas seulement ceux qui ont été approuvés après l’adoption de la loi nationale de mise en œuvre de ce droit. Mais le problème le plus crucial à l’heure actuelle tourne autour du flou entourant les critères de définition juridique des communautés et des territoires pour lesquels le droit à la consultation peut s’appliquer. Le gouvernement retient depuis plusieurs mois la présentation d’une nouvelle base de données qui définit pour la première fois dans l’histoire qui sont les communautés qui pourront se prévaloir du droit à la consultation. Les communautés vivant dans les hautes montagnes ont en effet « perdu » leur statut « autochtone » lors de la réforme agraire des années 1960 qui leur a attribué un statut de communauté « paysanne ». Cette nouvelle base de données, conçue en 2012 par des fonctionnaires de l’État central, est censée redonner le statut d’autochtone à plusieurs communautés andines en fonction de critères encore non divulgués.
Mais ce projet vient heurter la faisabilité des nombreux projets d’investissements étrangers visant à développer des exploitations minières, gazières et, dans le cas de l’Amazonie, pétrolières et forestières. Certains processus de consultation ont été annoncés récemment, mais l’absence de cette base de données permet aux acteurs opposés au droit à la consultation de remettre en question la légitimité de différentes communautés qui exigent ce droit. Certains dirigeants d’entreprises minières pensent comme Roque Benavides, président du conseil d’administration et directeur général de Minas Buenaventura, propriétaire d’une des plus grosses mines d’or située à Cajamarca, une zone hautement conflictuelle. Celui-ci a affirmé lors d’une entrevue « Je hais le terme de “licence sociale” », en référence au consentement des communautés.
Les cas de conflits entre des communautés et des compagnies transnationales d’extraction continuent de se multiplier au Pérou, entraînant souvent la mort de citoyens, l’instauration de l’état d’urgence et de nombreuses arrestations arbitraires. La communauté de San Juan de Cañaris fait les manchettes au Pérou ces jours-ci dans son opposition au projet Cañariaco de la compagnie minière canadienne Candente Copper. Selon le Ministère péruvien de l’Énergie et des Mines, il y aurait en ce moment 85 entreprises minières et 12 entreprises de gaz ou pétrole canadiennes impliquées dans des projets au Pérou. Plusieurs d’entre elles, telles que Barrick Gold et autres compagnies plus « juniors », ont fait face ou font face à des oppositions de la part des populations locales menant à des affrontements. Le droit à la consultation au Pérou avance à pas de tortue. Les Peuples autochtones du Canada et du Pérou font face aux mêmes agendas extractivistes et à la même réticence des gouvernements de jouer leur rôle de garants de leurs droits qu’ils ont pourtant reconnus.
Stéphanie Rousseau
Professeure de sociologie à l’Université Laval et chercheure à la Chaire Nycole Turmel sur les espaces publics et les innovations politiques.
Article sur le Journal des Alternatives : http://journal.alternatives.ca/spip.php?article7354