JEAN-MARC NARBONNE, professeur de philosophie antique à l’Université Laval (Québec), est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Antiquité Critique et Modernité Émergente (ACMÉ, 2015-2022), directeur du projet Partenariat international de recherche Raison et Révélation : l’Héritage Critique de l’Antiquité (CRSH, 2014-2021), et l’auteur de nombreux ouvrages dont plus récemment, Antiquité Critique et Modernité. Essai sur le rôle de la pensée critique en Occident (Paris, Les Belles Lettres, 2016). Il est membre de la Société royale du Canada.
1. Démocratie dans l’Antigone de Sophocles, PUL/Vrin, 2020
On a l’habitude de lire dans Antigone l’histoire d’un conflit entre d’un côté l’expression des liens affectifs et de la piété, et de l’autre les prérogatives de l’État dont le but premier serait le maintien des institutions. D’un côté Antigone fidèle à son frère, de l’autre Créon attaché à sa Cité. D’un côté la morale de l’affectivité ou de la conviction (Gesinnungsethik), de l’autre la morale de la responsabilité (Verantwortungsethik), pour parler comme Max Weber. Cette lecture classique de la tragédie demeure sans doute pertinente à bien des égards, mais traduit-elle l’essentiel ? Et si l’intention du poète n’avait pas été d’en rester à cette confrontation mais de suggérer, par-delà l’affrontement ruineux, une troisième voie possible ? Il n’y aurait plus alors deux termes seulement, le privé et le public que tout sépare, mais deux manières pour l’ordre public lui-même de se rapporter au privé, l’une conflictuelle et tyrannique, celle de Créon, l’autre conciliatrice et délibérative – démocratique en ce sens –, celle défendue par Hémon, par Tirésias, et finalement peut-être par Sophocle lui-même qui, par l’emploi d’un vocabulaire tiré de l’expérience politique athénienne, dénoue d’une main l’intrigue qu’il noue de l’autre.
Éclairée entre autres par Aristote, une interprétation nouvelle de la pièce en découle, celle d’un poète qui surjoue les conflits pour mieux insinuer les moyens politiques de les résoudre ou de les atténuer.
2. Sagesse cumulative et idéal démocratique chez Aristote, PUL/Vrin, 2020
En Politiques, Livre III, chapitre 11, Aristote présente un argument en faveur d’un mode de décision fondé sur le cumul des opinions qui s’expriment au sein d’une réunion délibérante, que ce soit dans le contexte d’une assemblée proprement politique, d’une cour de justice ou d’un jury artistique. Grâce à cette additivité, à ce cumul ou à cette sommation des points de vue – c’est ce qu’on a appelé la Summierungstheorie –, des gens qui se trouvent rassemblés seraient à même de parvenir à des jugements non seulement en soi avisés, mais souvent supérieurs à ceux pris isolément par les individus soidisant meilleurs ou par les savants, par l’élite si l’on préfère. Et voilà le platonisme potentiellement renversé ou tout au moins mis à mal.
Si Aristote fait sien ce procédé cumulatif (Summierungsverfahren) et s’il croit au pouvoir de l’intelligence collective qui en résulte – et pourquoi en douter ? –, on peut logiquement s’attendre à ce que le genre de régime politique qu’il favorise soit lui-même en correspondance avec une telle intelligence collective, un régime de type par conséquent démocratique. Or c’est bien quelque chose comme cela qui se produit au sein du traité des Politiques, d’où le portrait qui s’en dégage d’un Aristote « révolutionnaire », mais comme on le verra, « tranquille ».
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