Activité maritime aussi vieille que les marines antiques, la piraterie a sans nul doute alimenté nombre de rêves chez les jeunes lecteurs de Stevenson en quête d’aventures dans les chaudes mers des Caraïbes. Pourtant, la réalité contemporaine est tout aussi lointaine de L’île au trésor et des aventures de Jim Hawkins et de John Long Silver que des mythes quasi-romanesques des pirates à l’image de Jack Rackham. Comme les groupes terroristes et les réseaux clandestins liés à la prolifération des armes de destruction massive, la piraterie constitue une illustration de l’émergence des acteurs non étatiques dans les sphères de la (l’in)sécurité internationale.
Les récentes et médiatiques attaques commises au large de la Somalie, le Ponant et le Carré d’As reviendront ici à l’esprit, ne sont bien sûr pas étrangères à ce renouveau que semble connaître la piraterie. Si la mer Adriatique est également affectée, les principaux foyers de piraterie maritime sont aujourd’hui le sud des Caraïbes, le golfe de Guinée, la zone allant du détroit de Bab el-Mandeb au sud de la Corne de l’Afrique en passant par le fameux golfe d’Aden, et les eaux du Sud-Est asiatique (mer de Chine méridionale, détroit de Malacca, Philippines, Indonésie). Ces zones ont un certain nombre de particularités communes. Toutes sont traversées par d’importantes voies de communication maritime et se trouvent au cœur des échanges commerciaux. À titre d’illustration, 16 000 navires emprunteraient le golfe d’Aden chaque année. Plus généralement, le total mondial des marchandises chargées en 2006, selon la dernière étude menée par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, ne représentent rien de moins que 7 416 millions de tonnes (contre 2 566 en 1970 et 5 983 en 2000). Par ailleurs, ces voies, pour des raisons liées aux difficultés de navigation (faible profondeur des eaux, importance du nombre d’obstacles naturels), imposent aux navires de maintenir une allure réduite, les rendant d’autant plus vulnérables. Enfin, chacune offre des repaires de choix aux pirates, à l’image de la région semi autonome du Puntland ou des milliers d’îles quasi-désertiques du Sud-est asiatique.
Quelle définition de la piraterie ?
263 actes de piraterie furent recensés en 2007 par le Bureau maritime international (BMI) (soit une augmentation de 10% par rapport à 2006). Mais à quoi renvoie véritablement cette notion ? La Convention sur le droit de la mer (Montego Bay, 10 décembre 1982) définit le cadre juridique contre la piraterie et le vol à main armée ainsi que contre certaines autres infractions bien précises (transport d’esclaves, trafic de substances psychotropes, émissions non autorisées). Son article 101 dispose que la piraterie s’entend de « l’un quelconque des actes suivants : a) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute dépravation commis à des fins privées par l’équipage ou les passagers d’un navire ou d’un aéronef privé et dirigé : (i) contre un navire ou un aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer ; (ii) contre un navire, un aéronef, des personnes ou des biens dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État ; b) tout acte de participation volontaire dans l’utilisation d’un navire ou d’un aéronef lorsque son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate ; c) tout acte ayant pour effet d’inciter à commettre les actes définis aux alinéas a) et b) du présent article, ou de les faciliter intentionnellement ». Cette définition apparaît somme toute restrictive. En ne considérant que les actes commis en haute mer ou « dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État », elle exclut ceux commis contre les navires dans les eaux territoriales d’un État alors que la plupart des agressions ont lieu dans ce cadre.
À l’inverse, la définition donnée par le BMI semble trop générale. En considérant comme relevant de la piraterie « [l’]acte de monter à bord d’un navire avec l’intention de commettre un vol ou tout autre crime et avec l’intention ou la capacité d’utiliser la force », elle permet d’inclure les petits vols commis sur les navires à quai alors qu’ils n’ont pour la plupart rien à voir avec un acte de piraterie. Or il y une distinction à opérer entre ces différents actes. L’Organisation maritime internationale distingue ainsi dans ses rapports mensuels les actes de piraterie et les vols à main armée commis dans les eaux internationales et territoriales des vols et autres agressions d’un caractère moindre. Ainsi, si elle renvoie à la définition de la piraterie donnée dans la Convention de Montego Bay, elle définit en revanche les vols à main armée comme « tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation, ou menace de déprédation, autre qu’un acte de piraterie, commis contre un navire, ou contre des personnes ou des biens à son bord, dans une zone relevant de la juridiction d’un État compétent pour connaître de tels délits » (Code des pratiques pour les enquêtes sur les délits de piraterie et les vols à main armée contre les navires adopté par l’OMI, résolution A/922 (22) du 29 novembre 2001, § 2.2).
Une menace réelle et globale
Les actes de piraterie n’ont aujourd’hui que peu à voir avec les méfaits commis par les illustres ancêtres des pirates contemporains et ne peuvent être réduits à de simples larcins commis par de petits groupes non étatiques désorganisés et faiblement armés contre d’autres acteurs non étatiques. La piraterie maritime peut aussi avoir de réelles et néfastes conséquences sur l’activité économique, comme par exemple menacer l’octroi de l’aide internationale humanitaire. C’est d’ailleurs devant ce danger que certains États, dont la France et le Canada, ont décider de fournir des escortes aux navires affrétés par le Programme alimentaire mondial. Les conséquences environnementales d’un acte de piraterie contre un pétrolier, par exemple, sont également une menace réelle, qui tend à se rapprocher du terrorisme maritime. Le détournement de l’Achille Lauro en 1985 est certainement resté dans les mémoires collectives (et a été à l’origine de la Convention de Rome pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime), de même que l’attentat contre l’USS Cole au Yémen en 2000. Aujourd’hui, plus que les navires de tourisme ou de guerre, ce sont peut être les navires commerciaux du type pétroliers ou autres butaniers qui pourraient être visés prioritairement. Plus vulnérables, ils seraient aussi ceux dont la destruction causerait les dégâts écologiques et économiques, voire humains, les plus importants.
Par ailleurs, outre les moyens modernes auxquels ils peuvent parfois recourir, les pirates ont également la particularité de nourrir certaines connexions avec des réseaux, y compris transnationaux, liés au crime organisé. S’il existe une tradition de la piraterie, particulièrement dans certaines contrées asiatiques, qu’une approche sociologique du phénomène permettrait d’expliquer en mettant en exergue une existence et une reconnaissance sociales et la transmission d’un héritage culturel intergénérationnel, il n’en demeure pas moins que la piraterie est aussi – et surtout – une activité criminelle à l’envergure croissante et à la rentabilité somme toute non négligeable. Selon une étude de la Chatham House (P. Middleton, Piracy in Somalia, October 2008), le montant total des rançons payées aux pirates en 2008 se situerait dans une fourchette située entre 18 et 30 millions de dollars !
Une prise de conscience de la société internationale
Ces dernières années ont vu se développer des coopérations internationales dans le domaine de la lutte contre les activités illicites empruntant la voie des mers (Container Security Initiative, Proliferation Security Initiative par exemple). Aujourd’hui, forte de cette expérience, la société internationale doit pour lutter contre la recrudescence de la piraterie associer, en complément d’actions régionales, approche politique et activité de police conformément au cadre établi par la Convention de Montego Bay. Sans minimiser les actions antérieures, les résolutions 1816 et 1838, adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité les 2 juin et 7 octobre 2008, témoignent d’une prise de conscience. Concernant spécifiquement la situation en Somalie, ces textes autorisent « les États dont les navires de guerre ou les aéronefs militaires opèrent au large des côtes somaliennes, en haute mer ou dans l’espace militaire surjacent [à] utiliser tous les moyens nécessaires (…) pour réprimer les actes de piraterie ». À cette fin, la résolution 1816 autorise surtout les États à intervenir dans les eaux territoriales somaliennes. C’est en appui à ce texte que l’Union européenne a décidé la création d’une cellule européenne de coordination visant « à apporter un soutien aux activités des États membres qui déploient des moyens militaires sur le théâtre en vue de faciliter leur disponibilité et leur action opérationnelle » (Action commune 2008/749/PESC du Conseil, 19 septembre 2008).
Sans porter préjudice à l’intégrité territoriale des États, la question peut aujourd’hui se poser de savoir s’il ne serait pas opportun d’envisager la constitution d’un corps international de garde-côtes. La question est légitime non seulement parce que la lutte contre la piraterie est d’autant plus difficile lorsque l’État côtier est défaillant mais également parce que l’entrée en jeu des firmes privées de sécurité – Blackwater a envoyé son navire, le McArthur, dans le golfe d’Aden pour assister à leur demande les navires de pêche – risque de compliquer la lutte et de poser des difficultés juridiques supplémentaires au regard de la Convention de Montego Bay. Ceux qu’on dénomme parfois les « mercenaires des temps modernes » ne sont ils pas sur le point de devenir les corsaires de demain ?