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Bulletin du maintien de la paix

La flambée des cours du pétrole : une crise salutaire ?


Quelle que soit l’attitude que l’on adopte vis-à-vis de la crise de l’énergie, une chose est sûre : la planète va de mal en pis. Il n’aura fallu qu’un peu plus d’un siècle et demi pour quasiment vider le sous-sol terrestre des hydrocarbures qui s’y sont formés en quelques centaines de millions d’années. Pendant ce temps, le climat s’emballe. Et toutes les mesures préventives comme la capture et le stockage du carbone seront d’un bien faible secours pour infléchir le point de non retour vers lequel nous nous orientons. Car tous les scénarios indiquent que le monde s’éloigne à vitesse grand « V » des objectifs de Tokyo. Et les déclarations alarmantes continuent de pleuvoir sans que le monde ne s’émeuve outre mesure des grands chambardements qui s’annoncent.

La réalité est ici double. Crise énergétique il y a, car le monde se refuse à changer ses modes de vie et de production. Les prix de l’énergie augmentent et se répercutent sur l’ensemble des activités économiques des États. Dans le long terme, c’est aussi la sécurité alimentaire des États qui est menacée, car les pays riches, par souci de bien faire ou supposément pour réduire de quelques litres leur consommation d’essence, choisissent de « doper » leurs voitures aux biocarburants, plutôt que d’utiliser les ressources de la Terre pour alimenter des bouches affamées. L’autre réalité, l’asphyxie de la planète, n’est pas pleinement ressentie comme une crise, car une crise a toujours trois dimensions : une menace aux valeurs fondamentales de la société, une transformation subite dans l’environnement ou encore l’absence de temps pour développer des stratégies appropriées. Sur ces deux derniers points, les hommes estiment qu’ils ont encore du temps devant eux, tandis que le réchauffement climatique est perçu comme un phénomène lent et diffus et non comme une transformation subite de l’environnement. Quant au premier point, en dépit de tous les discours sur les mille et un domaines de l’insécurité, l’opinion publique perçoit certes le changement climatique comme une menace, mais non comme une nécessité pour l’homme de revoir les fondements mêmes de sa croissance économique. À tout considérer, selon ces définitions, il y a une crise de l’énergie, mais pas de crise planétaire immédiatement ressentie. On le voit, seul un profond changement de conscience qui relèverait du miracle pourra contrer la boulimie énergétique de notre planète.

La boulimie énergétique de la planète

Selon les sources consultées (Annual Energy Outlook 2008 [Energy Information Administration] ; International Energy Outlook 2008 [Energy Information Administration] ; World Oil Outlook 2008 [OPEP] ; World Energy Outlook [Agence internationale de l’énergie]), les prévisions de la demande en énergie jusqu’en 2030 tournent autour de 113-115 millions de barils par jour, alors que la consommation moyenne quotidienne, en 2007, s’établit à 85,2 millions de barils. Pour satisfaire aux besoins prévisibles de la croissance économique des États d’ici 2030, il faudra donc augmenter la production de 30 millions de barils par jour. Les directeurs des grandes sociétés pétrolières comme Total (Christophe de Margerie), ExxonMobil (Rex Tillerston) et ConocoPhillips (James Mulva) estiment peu probable de pouvoir répondre à une telle demande, d’autant que la production mondiale de pétrole plafonne depuis plusieurs années, l’année 2007 marquant une chute de production de 0,2 % par rapport à 2006.

Comme l’indiquent les graphiques ci-contre, c’est pratiquement mille milliards de barils (en réalité 907,2 milliards) qui seront consommés sur une base cumulative durant la période 2006-2030. Même si 90 % de la croissance de la demande prévue sont à mettre au compte des pays en développement, les pays de l’OCDE n’absorberont pas moins que 51,2 % de la production cumulative de pétrole d’ici 2030 comparativement à 43,4 % pour les pays en développement.

Quant au taux de croissance de la demande mondiale, l’EIA (Energy Information Administration) estime qu’il atteindra 1,2 % par année, ce qui est un chiffre inférieur au rythme de production de la plupart des années antérieures et bien en deçà de la croissance prévisible future du PIB mondial. Élément à retenir : la production des pays non-membres de l’OPEP connaîtra un taux de croissance supérieur à celui dégagé par les pays de l’OPEP, tandis que la production de produits pétroliers à partir de sources non conventionnelles connaîtra un taux de croissance élevé.

Et c’est ici que le bât blesse, car il est porteur de perceptions erronées tant chez les pays producteurs que consommateurs. D’un côté, les sociétés pétrolières ne cessent de prétendre qu’il reste très peu de pétrole disponible. Il faut donc aviser à d’autres sources de production, peu importe qu’il s’agisse des biocarburants, de la production d’hydrocarbures à partir de ressources non conventionnelles ou encore des zones prospectives encore interdites d’exploration. Sur ce dernier point, on connaît la réponse du président Bush et du candidat républicain à l’élection présidentielle, John McCain. Il faut ouvrir le plateau continental et les zones protégées de l’Arctique à la prospection et à la production. Le candidat démocrate à la présidence américaine, Barack Obama, s’est d’ailleurs rallié sur le tard à cette proposition après l’avoir écartée du revers de la main dans un premier temps.

Dans une étude publiée en juillet 2008, le USGS (United States Geological Survey) laisse entrevoir des réserves de 90 milliards de barils de pétrole récupérables, principalement dans trois bassins arctiques (ceux de l’Alaska, de l’Amérasie et du Groenland), soit à peu près l’équivalent de trois ans de la consommation mondiale actuelle. C’est beaucoup ou peu à la fois, car à supposer qu’on donne suite à ces propositions, il faudra encore entre cinq et dix ans avant de pouvoir libérer l’étau du resserrement de l’offre sur la demande. Pour mener à bien de telles opérations, il faudra sans doute que d’autres pays mettent la main à la pâte, la Russie notamment, et d’autres pays circumpolaires, comme la Norvège ou le Danemark. On risque ainsi de relancer la course au pétrole dans des zones environnementales jusqu’à maintenant protégées, au grand dam d’ailleurs des mouvements écologiques. Quant à la production non conventionnelle, elle n’est intéressante que dans la mesure où le prix de l’or noir reste élevé. C’est le cas des schistes butimineux pour ce qui est du pétrole, et du gaz en provenance des schistes ou des gisements houillers pour ce qui est du gaz naturel. Ces deux secteurs sont en pleine expansion. L’OPEP prévoit que la production canadienne de pétrole synthétique atteindra 5 millions de barils par jour en 2030. Pour ce qui est du gaz naturel, plus de 25 % de la production américaine provient aujourd’hui de sources non conventionnelles et cette proportion atteindra facilement les 50 % bien avant 2030. Les sociétés pétrolières ont donc intérêt à ce que le prix du baril reste élevé, ne serait-ce que pour permettre les investissements nécessaires au développement de ressources plus difficiles d’accès et beaucoup plus coûteuses sur le plan de leur exploitation. Et rappelons-le, aussi beaucoup plus énergivores au plan de la production.

D’un autre côté, les pays de l’OPEP rechignent à consentir les investissements nécessaires à l’augmentation de leur production, à moins d’être rassurés sur la fermeté de la demande. Notons que le World Oil Oulook de 2008 ne fait état que d’une demande de 82 mb/j pour ce qui est des besoins en essence à l’horizon 2030. Dans ces conditions, on comprend mieux que l’organisation voit avec alarme la production des biocarburants, le développement des énergies renouvelables ou encore des énergies non conventionnelles. Le difficile dialogue entre les pays producteurs et consommateurs résulte donc d’interprétations différentes de la situation pétrolière. On se retrouve en face d’une situation paradoxale. Il n’y a pas assez de pétrole pour répondre à la demande, disent les uns, et la demande n’est pas assez forte pour justifier d’importants investissements, clament les autres. En réalité, c’est surtout sur la manipulation des prix du baril et les carences de l’économie américaine que table l’OPEP pour resserrer sa production. Le stratagème est habile dans la mesure où les pays producteurs n’ont pas à parler entre-temps, concurrence oblige, de leurs propres problèmes de production.

Le difficile dialogue entre les pays producteurs et consommateurs

Lors d’une conférence de presse au Secrétariat de l’OPEP à Vienne, en mars 2008, le ministre algérien de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, aussi président de l’OPEP, attribue la hausse vertigineuse du prix du baril « à la mauvaise gestion » (mismanagement) de l’économie américaine. Les prix élevés de l’or noir, ajoute-t-il, « sont dus à la crise financière américaine et à la dépréciation du dollar, tout autant qu’aux activités spéculatives associées aux marchés de commodités et à celui des produits pétroliers. » Cela se voit clairement « dans la hausse spectaculaire des échanges dans les produits de base et non seulement en ce qui concerne le pétrole », conclut le ministre Khelil. Le rapport 2008 World Oil Outlook va plus loin. Pour chaque baril produit, peut-on y lire, il s’échange aujourd’hui 18 barils-papier, contrairement à six en 2003. En outre, on enregistre durant la même période une croissance de 13 à 260 milliards de dollars US pour ce qui est des contrats à terme échangés sur les marchés.

Ces chiffres sont trompeurs, car on pourrait dire la même chose des futures reliés au gaz naturel, alors qu’il n’y a pas eu, toutes proportions gardées, d’augmentation correspondante du prix de cet hydrocarbure. En réalité, il se transige sur les marchés financiers entre 12 et 30 fois la quantité de gaz produite (Ronald D. Ripple, Oil and Gas Journal, 9 juin 2008). Certains représentants démocrates, tels les sénateurs Byron L. Dorgan (Dakota du nord) et Carl M. Levin (Michigan), n’hésitent pas à mettre sur le dos des spéculateurs le doublement ou le quasi triplement du prix de l’or noir au fil des deux dernières années. Selon ce dernier, la spéculation sur le marché pétrolier était de 40 % en 2008 comparativement à 20 % en 2000. Pourtant, selon le sénateur républicain John Cornyn (Texas), les opérations boursières n’expliqueraient tout au plus que 20 % de l’augmentation du prix du baril (Oil and Gas Journal, 28 juillet 2008).

La spéculation existe, certes, mais les observateurs estiment que les contrats à terme ne représentent qu’une portion infime des montants honorés sur le marché pétrolier. Chose certaine, le vent de révolte du Congrès américain contre le prix élevé du baril vise à rendre moins opaque le processus de formation du prix du baril et à faire en sorte que les marchés à l’étranger, comme par exemple l’IPE (International Petroleum Exchange) de Londres, soient soumis aux mêmes restrictions que celles qui existent aux États-Unis. Le projet de loi S. 3268 déposé en juillet par le leader démocrate de la majorité au Sénat, Harry Reid (Nevada), vise à amender le Commodity Exchange Act afin d’empêcher toute spéculation excessive (!) sur le marché de l’énergie. Le libellé du projet de loi parle de lui-même : « Stop Excessive Energy Speculation ». Plusieurs observateurs font déjà remarquer que ce projet de loi pourrait constituer une arme à double tranchant, car si l’on espère de la sorte assurer une plus grande transparence sur les marchés de Londres ou des États-Unis , rien n’indique que l’on pourra de la sorte juguler la spéculation sur d’autres barils monnayés en devises étrangères et échangés dans les marchés à terme soutenus par les Émirats Arabes Unis, la Russie, le Japon, voire la Chine. Une telle procédure pourrait tarir le flux d’investissements vers les États-Unis et contribuer encore davantage à affaiblir le dollar US.

Dans le jargon boursier, on distingue les « commerciaux » des « spéculateurs », les premiers étant des commerçants qui négocient un produit réel (blé, pétrole, or, etc.), les seconds étant des investisseurs qui spéculent sur les prix à la hausse ou à la baisse sur le marché des contrats à terme. Pour ce qui est du pétrole, les spéculateurs misent sur les futures ou des barils-papier achetables ou revendables sans qu’une seule goutte de pétrole ne leur passe entre les mains. La pratique du hedging – l’achat de barils-papiers comme couverture ou protection contre les fluctuations du marché – tend à diminuer les risques tout en augmentant les liquidités sur le marché. Que le prix du baril monte ou descende, l’opération inverse permet au trader de couvrir son risque. Une différence importante subsiste toutefois : la prime à verser sur les futures n’est que de quelques pour cents par rapport à la valeur réelle du baril livré à l’acheteur. La procédure encourage la spéculation, mais tout boursicoteur aura vite compris qu’il a intérêt à se retrouver du bon côté du marché !

Une douzaine de sociétés pétrolières sont déjà dans le collimateur de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), notamment la néerlandaise Optiver et deux de ses filiales. Elle est accusée d’avoir accumulé, juste avant la clôture des marchés, de larges quantités de barils-papier, ce qui a forcé à la hausse le prix du baril. Revendues rapidement à l’ouverture des marchés, la société empochait la différence entre les coûts d’acquisition plus bas que ceux générés à la revente. La CFTC a toujours nié l’existence de spéculations excessives sur les marchés de l’énergie et le Groupe de travail interministériel sur le sujet (ITF – Interagency Task Force on Commodity Markets), composé de représentants de tous les ministères concernées par l’énergie, a conclu dans son rapport du 20 juillet que le prix du baril est essentiellement lié à l’essoufflement de l’offre par rapport à la demande. Et cette constatation vaut pour la période qui s’étale de janvier 2003 à juin 2008. Un rapport plus complet de la CFTC suivra en septembre, mais sur l’essentiel, le rapport préliminaire est clair : « les changements de position des spéculateurs n’ont pas systématiquement précédé les changements dans les prix, bien au contraire, et lorsque des changements sont intervenus, ils constituaient une réponse à de nouvelles informations », ce qui est le lot d’un marché qui fonctionne normalement.

L’EIA (Energy Information Administration) entérine-t-elle cette thèse lorsqu’elle estime que le prix moyen du brut en 2008 et 2009 s’établira à 127,4 et 133 dollars US respectivement ? De deux choses l’une, ou bien le prix du baril reflète essentiellement les lois de l’offre et de la demande, ou bien les opérations boursières sont totalement dissociées des lois du marché. Difficile de savoir dans ces conditions laquelle des deux béquilles sert de soutien à l’autre. Dans un cas comme dans l’autre, l’argumentation ne fait guère avancer le débat. En la matière, le très sérieux Center for Global Energy Studies (CGES) de Londres n’y va pas de main morte. Dans son bulletin mensuel de juillet, le Monthly Oil Report précise : « l’OPEP refuse toujours d’accroître sa production, attribuant le prix élevé du cours du baril à d’autres facteurs qu’à ses propres politiques de production […] et paraît rechercher la limite supérieure du prix de l’or noir sans se soucier de son impact sur l’économie mondiale ». Les pays producteurs et consommateurs s’accusent donc mutuellement d’arrières pensées qui ne sont guère susceptibles de mener à une saine analyse de la situation.

Les revenus des pays membres de l’OPEP et des sociétés pétrolières

Parmi les autres critiques les plus virulentes à l’égard de la spéculation, on retrouve bien sûr les bénéfices records des sociétés pétrolières et des pays de l’OPEP. On passe toutefois sous silence le fait que les gouvernements profitent aussi largement des taxes perçues sur les barils de pétrole vendus ou écoulés sur le marché. Les revenus nets d’exportation de brut en provenance des pays de l’OPEP ont atteint 671 milliards de dollars en 2007, et les prévisions pour les années 2008 et 2009 s’élèvent à 1 251 et 1 322 milliards de dollars, selon les services américains de l’EAI (http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/OP...). Ces fonds seront certes investis dans l’amélioration des infrastructures gazières et pétrolières des pays producteurs, mais une large part pourrait rejoindre les grands marchés financiers, ce qui alimentera à nouveau le marché des futures.

Du côté des sociétés pétrolières, la manne pétrolière ne leur fait pas défaut, loin s’en faut. En l’espace de quatre ans (2003-2006), les compagnies ont réussi à doubler leurs revenus, peu importe que leurs bénéfices soient bruts ou nets ou qu’il s’agisse de leurs profits avant taxes (voir le graphique joint). Les sociétés s’empressent évidemment de comparer ces chiffres aux coûts croissants de la production d’hydrocarbures : les coûts d’exploration et de développement ont doublé, les coûts d’acquisition de réserves non prouvées ont été multipliés par un facteur supérieur à 8,5, tandis que les coûts d’acquisition de réserves prouvées ont été multipliés par trois.

La flambée des cours actuels remet évidemment ces proportions en cause. Durant les six premiers mois de l’année 2008, les cinq grandes sociétés pétrolières (ExxonMobil, British Petroleum, Shell, ConocoPhillips, et Chevron) ont engrangé des bénéfices records de 160 milliards de dollars, comparativement à 123 pour la période correspondante de l’année 2007.

« Les profits de Shell sont traumatisants (shellshocked – on appréciera ici le jeu de mot), ceux d’Exxon excessifs et ceux de BP bouffis (Bloated ou bouffis par la chaleur – allusion aux explosions d’une raffinerie de BP aux États-Unis) », s’exclamait le 31 juillet dernier le Représentant démocrate Edward J. Markey (Mass.), président du Select Committee on Energy Independence and Global Warming. La grogne contre les sociétés pétrolières n’est pas le fait des seuls représentants démocrates en pleine campagne électorale présidentielle. Elle est aussi partagée par plusieurs républicains qui dénoncent le fardeau croissant du prix de l’essence déboursé par le consommateur américain. En outre, ExxonMobil est particulièrement montrée du doigt, car sa production stagne, comme celle d’ailleurs de bien d’autres majors, tandis qu’elle affiche des bénéfices records de plus de 22 milliards de dollars pour les six premiers mois de l’année 2008. On crie encore haro sur le baudet puisque Exxon a décidé de racheter ses propres actions pour une valeur de 32 milliards en 2007 – dont 7 milliards retournés aux actionnaires sous forme de dividendes –, avec une rallonge d’un autre 16 milliards de dollars durant les six premiers mois de l’année 2008. L’empressement qu’affiche cette société à satisfaire les investisseurs plutôt qu’à soulager le consommateur n’est ni du goût des environnementalistes qui dénoncent le peu de capital investi par ExxonMobil dans les énergies renouvelables, ni des démocrates qui souhaitent priver les sociétés pétrolières des 18 milliards d’exemptions fiscales dont elles bénéficient chaque année aux États-unis. « Pumping Cash, not Oil » titrait déjà le 28 mai 2007 un article de Business Week. Ce processus définit bien le climat général de la situation aux États-Unis et probablement aussi dans le reste du monde.

Une crise salutaire ?

Après le choc pétrolier de 1973, celui de la révolution khomeynienne (1979), et des guerres successives au Koweït et en Irak, le choc pétrolier des années 2007-2008 se terminera sans doute comme toutes les autres crises : une récession mondiale plus ou moins prononcée et variable selon les pays touchés, suivie d’une baisse plus ou moins accentuée du prix du baril. Il est vrai que les économies occidentales se sont dématérialisées depuis quelques décennies et que ce sont les économies de service (assurances, banques, secteurs financiers) qui génèrent désormais la croissance économique dans les pays développés. Cependant, à la différence du passé où l’on pouvait compter sur la stabilité financière pour assurer l’absorption des chocs pétroliers, les banques et les bourses sont aujourd’hui en plein désarroi. Ces facteurs rendent tout à fait aléatoires les prévisions en ce qui concerne l’avenir. En outre, les cornes de la bête sont doubles : la stagnation et l’inflation (stagflation). Pour la seule année 2007, le taux d’inflation aux États-Unis s’est situé à 4,1 %.

Deux choses peuvent néanmoins être affirmées. La première, c’est que le pétrole se fait rare, les grands gisements à forte capacité sont rarissimes et lorsqu’ils existent, leur production a tendance à péricliter rapidement. Certains auteurs comme Daniel Yergin estiment au contraire qu’avec un peu de chance, 125 milliards de barils de pétrole seront techniquement récupérables d’ici cinq ou dix ans, grâce aux technologies DOFF (Digital Oilfield of the Future). Les paris sont d’ailleurs ouverts entre l’ASPO américaine (Association for the Study of Peak Oil-USA) et le CERA (Cambridge Energy Research Associates) dirigé par Daniel Yergin, lequel prétend que la production mondiale de pétrole pourrait atteindre 112 mb/j d’ici 2017. À voir. En réalité, ce ne sont pas les sources d’énergie qui manquent. Un retour en force du charbon semble se profiler à l’horizon et la production d’hydrocarbures à partir de sources non conventionnelles est parfaitement réalisable. Tout est une question de prix. Et c’est là une deuxième affirmation : nous sommes entrés dans un ère d’énergie durablement chère.

Dans le bulletin d’actualité énergétique de la Fédération romande pour l’Énergie (FRE) de mars 2008, Jean-Pierre Bommer conclut : « Derrière les discours convenus, ni l’OPEP qui n’a plus de bande de fluctuation, ni les compagnies qui embellissent elles aussi leurs marges bénéficiaires, ne sont pas mécontents d’une situation de prix durablement tendus. Doit-on le leur reprocher ? » Aux acteurs pétroliers, il faut ajouter les gouvernements qui ne sont pas malheureux d’avoir ainsi l’occasion de se refaire une santé financière.

Il reste donc le consommateur et l’opinion publique. Or, en la matière, les tendances sont contradictoires. D’un côté, la rareté qui entraîne la cherté oblige à la parcimonie. En juillet, la consommation d’essence en France a diminué de 10 %. Aux États-Unis, on estime à 800 000 b/j la réduction de la demande de produits pétroliers durant les 6 premiers mois de 2008 par rapport à la même période de l’année précédente. D’un autre côté, on constate que les propositions du président Bush et du candidat John McCain restent populaires. Le tout afin d’assurer l’indépendance énergétique des États-Unis. Cette quête du Graal n’est pas nouvelle à Washington. Tous les présidents américains en ont parlé. En vain.

En 2005, le monde a généré 28 milliards de tonnes métriques de GES (gaz à effet de serre). Selon l’EIA américaine, ce chiffre passera à 42 milliards en 2003. De son côté, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie, Nobuo Tanaka, estime que les émissions de GES pourraient bondir de 130 % d’ici 2050. Il va falloir rapidement apprendre à refaire ses calculs… La planète s’asphyxie, mais le monde veut toujours consommer plus d’énergie. En 2007, Henri Prévot publiait Trop de pétrole, car moins il y en aura, plus il coûtera cher et moins on en consommera. Une seconde édition « Trop de pétrole, trop cher, trop tard » serait la bienvenue.

Albert Legault
Titulaire, Chaire de recherche du Canada en relations internationales
Université du Québec à Montréal

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