Depuis la découverte du premier cas humain porteur du coronavirus (Covid-19) le 8 décembre 2019, à Wuhan en Chine, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a déclaré le 11 mars 2020 que la situation sanitaire constitue désormais une pandémie. Sur les 122 pays touchés, le nombre de cas à l’échelle globale (97 997) a dépassé officiellement le nombre de cas en Chine (81 032) selon les données recueillies par l’Université John Hopkins – pour un total actuel de plus de 180 000 cas (à midi, le 16 mars 2020).
Le virus n’a pas de passeport et la vitesse exponentielle de propagation du Covid-19 engage désormais toutes les ressources politiques, humaines et sanitaires des États. L’urgence de la situation requiert que l’Institut d’études internationales de Montréal offre une recherche rigoureuse et au diapason de l’actualité. La notion de « gestion de crise » est à la mode et témoigne de jours en jours son utilité politique et sociale tant l’interconnexion du monde est omniprésente. La magnitude de propagation d’un virus en l’espace de quelques semaines met en lumière cet effet papillon : quand la Chine attrape un rhume, c’est le monde entier qui éternue.
Qu’il s’agisse du SARS-CoV en 2002-2003 (le beta coronavirus causant le syndrome respiratoire aigu sévère ou SRAS), de la grippe H1N1 en 2009, ou encore du MERS-CoV en 2012 (le beta coronavirus causant le Middle East Respiratory Syndrome, ou MERS), les crises précédentes de cette nature ont systématiquement interrogé l’état d’(im)préparation des gouvernements.
Alors que la stratégie à d’adopter semble d’ « aplatir la courbe », des simulations réalisées par le Washington Post à l’aide de différentes infographies permettent de démontrer l’efficacité des mesures de prévention (quarantaines) en cas de pandémie. S’il ne s’agit pas de minimiser l’urgence et la gravité de la situation, rappelons dans un premier temps que le taux de létalité du SARS-CoV2 (Covid-19) se situerait entre 0,9% et 2% tandis que celui du SRAS-CoV 2002-2003 était de 10% et celui du MERS-CoV de 35%. Cet article vise à exposer les principaux défis que posent la gestion de crise actuelle face à la pandémie de la Covid-19 et à apporter des pistes de réflexion quant aux possibles avenues de recherche en études internationales en lien avec les crises sanitaires.
La fiabilité de l’information, alpha et oméga de la gestion de crise
De la prévention, à la préparation jusqu’à la réponse, les étapes de la gestion de crise reposent sur un élément essentiel, la communication – l’efficacité de celle-ci dépendant aussi de la fiabilité de la source d’information. Dans un contexte de mondialisation de l’information et de circulation instantanée, il est parfois difficile de déceler le vrai du faux. Le phénomène des bulles de filtrage, selon lequel l’utilisation des réseaux sociaux maintient chaque individu dans la perception de sa propre réalité, présente des risques accrus dans une situation de crise sanitaire où le déni de la science, les théories du complot ou encore les fausses nouvelles peuvent devenir les principales sources d’information.
Parmi les plus récentes informations ayant alimenté les thèses complotistes, mentionnons que l’un des porte-paroles du Ministère chinois des Affaires Étrangères, Lijian Zhao, a insinué sur Twitter que l’armée américaine serait responsable de l’implantation du virus à Wuhan. Ancien chef de mission à l’Ambassade de Chine au Pakistan, le diplomate est un habitué des controverses sur le réseau social.
En temps de crise, la parole et les faits scientifiques devraient s’élever au-dessus de la cacophonie générale. Par exemple, certains professionnels de la santé ont démontré la possibilité mineure (mais réelle) de transmission du virus par les personnes sans symptômes. Aussi, le partage de l’information entre les gouvernements sur les leçons apprises dans les scénarios en Chine ou en Italie est essentiel car elles peuvent aider les États à adapter leur approche biomédicale et leur réponse politique à la crise.
À cet égard, même s’il faut rappeler la manipulation des statistiques chinoises sur le nombre de décès et de personnes contaminées, le recensement des cas dans l’ensemble des pays se confronte à de nombreux obstacles, notamment le manque de tests disponibles ou encore le fait que certains États, comme la France, ait arrêté les dépistages après que ceux-ci se soient révélés intégralement positifs. En Europe et dans le reste du monde, les conséquences économiques de la pandémie de la Covid-19 s’annoncent également importantes.
Un monde au ralenti, une économie atone
Depuis le début de l’année 2020, peu d’entreprises ont repris leur activité en Chine et les universités sont encore pour la plupart fermées, assurant des enseignements en ligne. Les secteurs de la construction, des services et de l’agriculture ont été profondément impactés par les interdictions de déplacement de la population sur le territoire chinois. Une étude menée conjointement par l’Université Tsinghua et l’Université de Pékin pointe du doigt le volume limité de la trésorerie des petites et moyennes entreprises (PME) chinoises : 85% de celles-ci manqueront de liquidités d’ici trois mois et deux tiers d’entre elles seront à court d’argent dans deux mois si la crise continue de sévir. L’impact de la crise sanitaire se fait déjà sentir dans l’industrie automobile où la livraison des pièces détachées accuse du retard. Autre exemple, dans le secteur du luxe où le marché chinois représente un rôle important, l’épidémie du coronavirus a des effets directs en bourse : les actions des groupes LVMH, L’Oréal et Kering ont plongé en l’espace de quelques jours.
Le Canada pâtit de la crise de la Covid-19 dans ses relations économiques avec la Chine, celles-ci souffrant déjà de la « guerre commerciale » entre Pékin et Washington. À titre d’exemple, le montant des exportations canadiennes vers la Chine s’élevait en 2019 à 23,2 milliards de dollars, soit une baisse de 16% par rapport à 2018. Le commerce bilatéral avec le Québec est également touché : les importations chinoises dans la province ont augmenté de moins de 2% en 2019 tandis que les exportations des produits québécois vers la Chine ont chuté de plus de 7%.
La chute historique du prix des matières premières, en particulier du pétrole, a provoqué un krach boursier sans précédent depuis la crise financière de 2008. Parce que la Chine se situe au cœur des chaînes de valeurs mondiales, la paralysie du principal atelier du monde – qui représente 20% du PIB mondial – impacte in fine des pans entiers du système économique. À l’échelle globale, les conséquences économiques de la pandémie sont essentiellement liées aux restrictions mises sur la mobilité des personnes et des biens. Cette crise possède ainsi des effets sectoriels sur le tourisme et le transport (restrictions des vols vers et depuis les épicentres : Chine, Iran, Italie, pour ne citer qu’eux). Enfin, la quantification précise des coûts économiques dans un délai aussi restreint se révèle extrêmement complexe, voire impossible. À plus long terme, cette pandémie interroge les modèles de gouvernance actuels et les dérives qu’un état d’urgence peut engendrer.
Le régime d’exception, nouveau modèle de gouvernance ?
Dans le temps court de notre histoire contemporaine, l’itération des crises et des grands bouleversements (politiques, économiques, sociaux, biologiques) s’accompagne généralement d’une reconfiguration de l’État : la crise de 1880 et l’État providence ; le krach boursier de 1929 et l’État keynésien ; la période de dérégulation et d’idéalisation des mécanismes marchands des années 1970 et l’État néo-libéral. Aujourd’hui, face aux mesures de plus en drastiques adoptées par différents États qui conduisent même à la fermeture des frontières comme en Italie, aux Etats-Unis, et en Argentine, le régime de l’exception devient la norme.
Plus qu’une simple mesure prise en situation d’urgence, dont le caractère exceptionnel par rapport aux cadres légaux dériverait de la nature tout aussi exceptionnelle de la menace, l’État d’exception consiste à édifier et à appliquer des normes hors du processus du droit. La restriction de liberté de circulation, caractéristique des périodes de confinement, a été l’une des illustrations du modèle chinois c’est-à-dire une gouvernance autoritaire pour endiguer l’épidémie. Quoiqu’il en soit, parce que la sécuritisation des personnes contaminées comme celles non atteintes justifierait ainsi le passage du domaine de la politique ordinaire au domaine de l’urgence, ce régime d’exception est indissociable de tensions qui lui sont constitutives.
L’emploi de la notion d’ « État d’exception » a le mérite de s’intéresser aux liens constitutifs entre politique et droit, problématique que le champ des études internationales ne peut éluder. Par ailleurs, le concept possède une signifiance particulière pour la discipline, puisqu’il souligne que les pratiques gouvernementales ne peuvent être comprises hors de la dimension internationale. Cette pandémie de la Covid-19 représente probablement la plus grave crise sanitaire depuis un siècle et cet événement ouvre indéniablement une nouvelle période créatrice d’un ordre international inédit. Finalement, en l’état actuel des choses, où près de 2 000 cas supplémentaires se sont ajoutés depuis le début de votre lecture, l’exercice de la prospective devrait surtout être un gage d’humilité.
À l’échelle de la Chine d’abord, la gestion de la crise et ses dérives autoritaires ne devraient pas nécessairement fragiliser le pouvoir central à moyen terme. La récente modification de la Constitution par Xi Jinping – l’autorisant à prétendre à un « mandat à vie » – confirme l’hypothèse selon laquelle l’actuel secrétaire général du Parti communiste chinois devrait conserver son poste. Le report de la session plénière de l’Assemblée populaire nationale (le Parlement chinois), initialement prévue le 5 mars 2020, implique un temps de réflexion supplémentaire pour le président Xi afin désigner éventuellement un potentiel successeur.
Les répercussions économiques à l’échelle internationale sont encore trop incertaines. Toutefois, il est déjà acquis que les secteurs du transport aérien mais aussi ferroviaire, en Europe en particulier, vont essuyer des pertes financières importantes. Les populations vulnérables et les pays pauvres seront les principales victimes du coronavirus et l’impact économique qui suivra pourra faire plus de victimes que le virus lui-même.
De plus, la gestion d’une telle crise sanitaire mondiale a mis à jour l’efficacité du multilatéralisme onusien grâce auquel l’Organisation mondiale de la Santé a pu anticiper au plus tôt la crise et établir des canaux de communication réguliers avec la République populaire de Chine. Cet événement a aussi confirmé que les États-Unis de Donald Trump, à travers une stratégie illisible et des décisions erratiques, jouent un rôle de sape du multilatéralisme. L’Union Européenne quant à elle, dans un contexte post-Brexit, confronte son idéalisme supranational à l’épreuve du réel, incarné par le repli sur soi, la fermeture des frontières et en toile de fond la résurgence des populismes. Enfin, et sur une note plus positive, la pandémie de la Covid-19 a diminué les émissions de gaz à effet de serre, notamment en Chine dont les images satellites de la NASA sont particulièrement frappantes. Une invitation donc à se préoccuper et anticiper la prochaine crise du 21ème siècle, celle de l’urgence climatique.
Texte rédigé par Gauthier Mouton.