Dans la guerre pour l’obtention et le maintien de la proverbiale « pointe de tarte » de la chaîne de valeur complexe de l’écologie de la (large-) bande passante, Google, dont les intérêts semblent alignés dans cette affaire avec ceux de la société civile, embarque dans une expérience sans précédent. La compagnie annonce un investissement dans un réseau communautaire ultra-rapide et à ses frais. Google déploierait un réseau de large bande en fibre optique s’étendant jusque dans les prémisses (FTTH) et connectant un nombre de résidents prévu entre 50 000 et 500 000 provenant de quelques municipalités des États-Unis. Le choix des municipalités s’effectuera l’an prochain après révision des demandes du public et des officiels des municipalités intéressées. La vitesse de connexion mise à la disposition des usagers devrait atteindre le plateau vertigineux du Gigabit par seconde, soit plus de 10 fois plus rapide que les meilleures performances offertes par le câble et la technologie DOCSIS 3.0, et plus de vingt fois plus performante que les plus récentes technologies équivalentes pour le DSL passant sur le réseau téléphonique public commuté de cuivre.
Les objectifs et impacts potentiels de cette initiative sont vastes et de nature éminemment politique. Richard Whitt, un porte-parole officiel de Google en matière de politique publique, remarquait que "We are not getting into the [Internet Service Provider] or broadband business. This is a business model nudge and an innovation nudge”. Nudge réfère ici à quelque chose comme une « poussée subtile dans une certaine direction, un encouragement agissant sur l’architecture de choix » d’une société, tel que l’envisage l’excellent ouvrage de Sunstein et Thaler. L’objectif est la mise en valeur du modèle d’affaires misant sur l’accès ouvert aux réseaux et aux dégroupements des services de télécommunications selon des lignes fonctionnelles. Ce modèle d’affaires ayant sombré en disgrâce aux États-Unis et au Canada à la faveur d’une dérégulation continue, donnerait ainsi la chance à des fournisseurs de service Internet (FSI) entrants de se constituer et de bénéficier du réseau de fibres optiques liant les prémisses et la dorsale d’Internet, à des prix compétitifs de gros volume.
En outre, dans le cadre des multiples et incessantes batailles entre les usagers de réseaux et leurs fournisseurs d’accès Internet (FAI) sur l’obtention de justes prix, de même que sur la maximisation et l’allocation des surplus économique et sociétal, le réseau expérimental de Google est pressenti comme moyen de vérification d’une foule de données cruciales à l’élaboration de politiques publiques, des données actuellement non-divulguées par les fournisseurs d’accès titulaire engagés dans un capitalisme régulatif. Susan Crawford mentionne notamment que les organisations de défenses de l’intérêt public apprendront le coût réel nécessaire à l’implantation de réseaux à (très) haute vitesse en région ; que des données sur la demande en applications et nouveaux services induite par l’existence d’un réseau ultra-rapide pourront être compilées ; que la facilité à fournir une interconnexion aux réseaux compétitifs sera désormais évidente pour tous, comme le seront les bienfaits de ce modèle d’affaires ; et finalement, comme le souligne aussi Sacha Meinrath, que cette initiative mettra en lumière la faiblesse relative des objectifs nationaux de déploiement de large-bande.
Le professeur Yoffie soutient quant à lui que “Google, indeed, appears to be playing a chess game. If they can create an even mildly credible commitment to offer superfast broadband to the home, it could strike fear in the hearts of cable and telcos, stimulating an arms race of investment — just as they did in the auction for spectrum a few years ago.” Pour en apprendre davantage, voir cette analyse incisive de Harold Feld. Une affaire que nous suivrons pour vous.